Francesca Gulminelli
Francesca Gulminelli enseignante chercheuse en astrophysique nucléaire au LPC Caen / Image A. Delepaut CNRS/IN2P3

Francesca Gulminelli, loin du modèle standard

Portrait

Dans le milieu masculin de la recherche française en astrophysique nucléaire, Francesca Gulminelli, jeune italienne de formation littéraire, détonnait. Cela ne l’a pas empêchée de devenir la grande spécialiste des objets compacts qu’elle est aujourd’hui.

N’en déplaise à sa modestie, Francesca Gulminelli est une chercheuse exceptionnelle, au sens propre. D’abord parce que c’est une femme, dans un domaine – l’astrophysique nucléaire théorique – où elles ne sont pas légion. Ensuite, parce qu’elle est à l’origine une littéraire : ce sont le latin et le grec, et non les mathématiques, qui ont bercé ses années de lycée jusqu’au baccalauréat de lettres passé en Italie. Car évidemment, Francesca Gulminelli n’est pas française mais italienne. On ne pouvait faire particule plus exotique au sein du Laboratoire de physique corpusculaire de Caen (LPCC).

De la littérature aux étoiles, reconnaissons qu’il y a quand même une logique : les poètes n’usent-ils pas des astres comme des muses ? Aujourd’hui, ce n’est plus leur symbolique que la chercheuse étudie, mais leur structure. Vivant sa science comme un art aussi émouvant qu’une symphonie ou un tableau, mais qui se confronterait sans cesse avec l’objectivité du réel, elle construit des modèles pour expliquer le fonctionnement des étoiles à une échelle microscopique.

Spécialiste des objets compacts

Sa spécialité ? Les « objets compacts ». « Essentiellement les étoiles en fin de vie qu’on voit peu, ou pas, et qui ont une grosse masse concentrée sur un petit volume », précise-t-elle au néophyte. Naines blanches, étoiles à neutrons issues de cataclysmes comme les supernovae, etc. Ces poids lourds sont-ils faits de noyaux d’atomes ? De protons et de neutrons ? De matière déconfinée comme un plasma de quarks et de gluons ? Leur étude a le vent en poupe, depuis la première détection, en 2015, des ondes gravitationnelles qu’engendrent ces objets denses. Car elles permettent, en complétant avec leur rayonnement X ou lumineux, d’échafauder de nouvelles hypothèses. « On a pu démontrer, par exemple, qu’un très grand pourcentage d’atomes lourds étaient produits par collisions de ces astres compacts, alors qu’on supposait plutôt qu’ils étaient créés lors des supernovae ».

 

Francesca Gulminelli du LPC Caen
Francesca Gulminelli est théoricienne en astrophysique nucléaire. Elle construit des modèles pour expliquer à une échelle microscopique le fonctionnement des astres compactes comme les naines blanches, les étoiles à neutrons ou encore les supernovae. Image A. Delepaut CNRS/IN2P3

L’expertise de Francesca Gulminelli s’arrête aux trous noirs, les objets les plus denses qui soient. Parce qu’il faut bien se poser des limites, même si l’astrophysicienne regrette de devoir borner son savoir : « Le grand public pense souvent que les physiciens étudient TOUTE la physique. Malheureusement, c’est une science très spécialisée. Selon les objets que vous regardez, vous n’utilisez pas le même formalisme. Personne n’est spécialiste de tout. Nous devons nous limiter bien plus que ce que nous aimerions. » Sa soif d’horizons nouveaux, la chercheuse italienne l’étanche donc plutôt dans l’enseignement, à l’université de Caen Normandie. « L’enseignement est ce qui nous permet de nous former à l’infini, parce qu’on ne connaît réellement que ce que l’on est capable d’enseigner », clame-t-elle, heureuse de côtoyer, dans ses activités pédagogiques, des spécialistes d’autres disciplines.

De la philosophie à la physique nucléaire

Mais comment une littéraire, férue de grec ancien et de philosophie, a-t-elle pu se retrouver à faire de la physique nucléaire ? « Tout m’intéressait, tout était beau. Ce que je suis devenue est beaucoup le fruit de rencontres et d’opportunités ». Le monde de sa jeunesse - elle est née en 1964 – se souciait moins de débouchés et de chômage. « On était dans une mentalité positive, gaie et insouciante », se souvient-elle. Francesca était une bonne élève, « une intellectuelle ». Alors forcément, elle est allée… en Lettres. « En France, il y a le mythe de l’excellence mathématique. Les bons élèves sont dirigés vers le bac S. Mais en Italie, c’est un peu le contraire. Pour avoir un statut d’intellectuel, il faut provenir d’un environnement plus littéraire. J’ai toujours beaucoup lu, j’aimais beaucoup la philosophie, tout ce qui créait du sens. Mais j’avais l’impression que le sens des lettres n’était pas assez ancré dans le réel par rapport à celui qui était donné par les sciences. La physique a un cadrage beaucoup plus rigoureux, plus objectif. » Bac en poche, la jeune étudiante se tourne donc vers les sciences de la matière. Restait à en acquérir les bases. « C’était un saut dans le vide », reconnaît-elle. N’ayant qu’un maigre bagage en mathématiques, il lui faut tout apprendre. « Il a fallu ramer. Mais les étudiants issus de formations littéraires rattrapent vite leur retard. Ce qui importe, c’est la rigueur et la méthode, l’implication. »

Le GANIL en point de mire

Elle obtient son master à l’université de Milan, puis accepte « par esprit d’aventure » un contrat de recherche d’un an, en physique nucléaire, à l’université de Munich en Allemagne. L’envie de se projeter ailleurs, de se frotter à d’autres cultures, comme le feront plus tard les étudiants Erasmus. Sa quête de nouveaux horizons l’amène à présenter, dans la foulée, un doctorat dans cette discipline qu’elle découvre, et à enchaîner les séjours universitaires en Allemagne et aux États-Unis. Elle apprendra, aussi, la langue française, pour être embauchée en 1994 comme maître de conférence à l’Université de Caen. « À l’époque, la physique nucléaire en Europe c’était beaucoup le GANIL. Je me suis donc installée en France pour pouvoir y travailler, même si aujourd’hui je ne travaille pas directement sur cet instrument. » La jeune italienne se fait très vite aux mœurs françaises, pas si différentes de ce qu’elle a vécu de l’autre côté des Alpes. Mais est-il si facile, dans la recherche française comme italienne, d’être une femme ?

Concilier vie de mère et de chercheuse

« Dans les études, cela ne pose plus vraiment de problème. Les écueils viennent après, pour l’embauche ou les salaires. Il y a cette vision que les femmes sont ordonnées, écrivent bien, apprennent par cœur, mais être bon élève n’est pas très valorisé. Ce qui est valorisé, c’est la créativité, la capacité à diriger, à entreprendre, et c’est là que les femmes rencontrent des difficultés. » Car beaucoup, regrette Francesca Gulminelli, s’autocensurent. « Des jeunes collègues féminins, qui pourraient avoir des postes de pouvoir, ne les prennent pas car elles ont du mal à s’affirmer ». Pas facile, non plus, de concilier vie professionnelle et personnelle lorsque les enfants arrivent. « Leurs compagnons ne sont souvent pas assez disponibles. Ce sont fréquemment elles qui s’occupent des enfants etc. Lorsqu’elles partent en conférence, elles culpabilisent et se demandent où et comment leurs enfants vont manger. » 

Quand elle a eu les siens, Francesca Gulminelli a donc dû, à son tour, jongler avec les disponibilités en crèche et des horaires pas toujours adaptés. Heureusement, reconnaît-elle, les métiers de la recherche permettent aussi de travailler largement chez soi ou le soir. Et aujourd’hui, même si ses collègues professeures restent rares en sciences autour d’elle, elle se sent pleinement reconnue, comme en témoigne sa nomination à l’Institut universitaire de France (IUF) en 2003. Ravie de continuer à révéler, chaque jour, toute la beauté de l’Univers et de pouvoir exercer, la tête dans les étoiles, ce qu’elle décrit toujours comme le plus beau métier du monde.

Emmanuel Monnier (Les Chemineurs)

Dix portraits de femmes et d’hommes de l'IN2P3

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