Reina Camacho Toro : partager la science au-delà des frontières

Portrait Physique des particules

Reina Camacho Toro est chercheuse au LPNHE, sur l’expérience ATLAS du LHC dont elle prendra en octobre la direction d’un groupe d’analyse. Fortement impliquée dans le développement de l’éducation scientifique dans les pays d’Amérique Latine, elle a fondé et coordonne plusieurs projets dans ce but. Son travail dans l’enseignement supérieur lui permet aussi de mettre en avant les valeurs fortes qu’elle défend : science ouverte, partage de données et diversité.

À la question « quelle est la plus grande force des collaborations scientifiques internationales ? », Reina Camacho Toro répond, sans hésitation aucune : « la diversité ». « Je conseille toujours à mes étudiants et étudiantes de travailler un peu à l’étranger, pour s’ouvrir à cette diversité. » Reina a commencé ses études de physique au Venezuela. Curieuse, elle avait « besoin de comprendre la nature, expliquer les phénomènes physiques, comment tout fonctionnait. La physique des particules est arrivée au fil de l’eau, avec mes expériences. » Elle a notamment décroché une bourse d’études HELEN pour réaliser un stage au LPNHE à Paris qui la plonge dans le bain de la physique des saveurs. Dès 2009, elle s’engage dans la recherche autour d’ATLAS au LHC lors de sa thèse au LPC à Clermont-Ferrand. Ensuite, la chercheuse vénézuélienne enchaîne plusieurs post-doctorats à l’étranger, toujours sur ATLAS, avant de revenir en France, au LPNHE, pour être titularisée.

« Quand j’ai commencé à chercher des postes permanents, la France était l’option qui me plaisait le plus. Au cours de mon stage au LPNHE et de ma thèse au LPC, j’avais bien aimé le fonctionnement de l’institut. Je trouve qu’il offre de nombreuses opportunités aux jeunes chercheurs et chercheuses. » Reina est très engagée sur les questions liées à la place faite aux jeunes scientifiques dans les grandes collaborations : elle faisait partie de 2019 à février 2021 du Early Career Scientists Board (Conseil pour les scientifiques en début de carrière) de la collaboration ATLAS, qui s’assure que leur voix soit prise en compte. À partir d’octobre 2021, après plus de 10 ans de recherche auprès d’ATLAS, Reina sera pendant deux ans, à la tête d’une équipe de recherche au sein de l’expérience : le groupe « Jets et énergie manquante » au LHC. Cette nomination marque d’une pierre blanche la carrière de la chercheuse et son investissement auprès du détecteur.

Au cœur du géant

Au sein d’ATLAS, Reina partage son temps de moitié entre l’analyse des données du détecteur, notamment les propriétés du Higgs, et l’élaboration de l’instrumentation scientifique. Plus particulièrement, sur ce dernier point, elle travaille au développement et à la caractérisation de détecteurs en silicium pour la montée en puissance d’ATLAS de 2026. La montée en luminosité du LHC implique un plus grand nombre de collisions. Il faut donc mettre à jour certaines parties du détecteur, augmenter la granularité des détections pour maintenir le niveau de performance actuel. Reina travaille sur le trajectographe interne Inner Tracker (ITK). Elle teste et caractérise des petites cellules en silicium contenant chacune plusieurs milliers de pixels : elles enregistrent la trajectoire d’une particule en fonction des pixels traversés.

Travail au quotidien pour Reina Camacho Toro ©Agathe Delepaut / Photothèque IN2P3

Reina s’investit aussi de manière plus large auprès de la communauté scientifique en Amérique Latine : « au Venezuela la physique des particules est assez peu développée », explique-t-elle. Avec quelques colleagues vénézuéliens elle fonde en 2014 une association, CEVALE2VE, basée sur leur expérience et délivrant les cours qu’ils et elles auraient aimé suivre durant leurs études. Impliquée dans de nombreuses initiatives de ce genre, elle a aussi co-coordonné la partie Amérique Latine du programme de l’ICTP-UNESCO Physics without Frontiers. Elle prend actuellement part à plusieurs projets pour la physique en Amérique Latine, pour renforcer la collaboration Europe-Amérique latine mais aussi pour les femmes de science, notamment dans les pays en développement.

Pour une science accessible

Mais sa plus grande fierté, c’est le projet qui découle de CEVALE2VE : Latin American alliance for capacity building in advanced physics (LA-CoNGA Physics). Commencé en 2020, il s’agit d’une alliance entre l’Union européenne et l’Amérique latine, cofinancé par le projet Erasmus+, pour le renforcement des capacités dans l'enseignement supérieur en physique avancée. Ce développement leur a permis d’acquérir un soutien institutionnel plus important, un meilleur impact, et surtout une intégration à leurs missions de travail. Car jusqu’ici, Reina et ses collègues développaient leur association et le contenu des cours sur leur temps libre. Cette alliance cherche à « moderniser le système éducatif », particulièrement dans l’enseignement supérieur. En pratique, elle a monté, avec ses collègues, des cours spécialisés en physique avancée, en physique des hautes énergies et en physique des systèmes complexes. Ces cours utilisent les avantages des environnements de recherche internationaux. « Les instruments sont partagés. Par exemple, un étudiant Colombien peut collecter les données d’un instrument au Pérou. Nous utilisons la manière dont on travaille en physique des particules : un environnement international, collaboratif et nous l’amenons à l’université. C’est un beau défi. » Plusieurs centres de recherches comme le CERN ou le CEA, et pas moins de 11 universités sont impliquées : en Allemagne, en France, en Colombie, au Venezuela, au Pérou et en Équateur. « Et bien sûr, au sein du CNRS, L’IN2P3 est l’un des partenaires les plus forts. »

Récemment, la physique des particules, surtout la physique expérimentale, s’est beaucoup développée en Amérique latine et plusieurs pays font à présent partie de grosses collaborations. Mais il y en a encore des autres pays et institutions d’Amérique latine ne font pas encore partie de ces partenariats internationaux malgré leur potentiel et intérêt. Reina Camacho Toro prévoit donc encore beaucoup de travail à ce niveau. Elle espère notamment voir le projet s’ancrer dans le futur, avec des accords durables de collaborations universitaires.

Les différents projets d’éducation scientifique de Reina résonnent aussi avec une valeur qu’elle défend fortement : l’importance de l’Open science (ou Science ouverte). Tous les cours de LA-CoNGA sont en Open access. L’association utilise des données ouvertes, les infrastructures mutualisées et partagées et encourage cette pratique au sein des universités impliquées. Cela permet d’ancrer des visions de ce que pourrait être une « nouvelle université ». La chercheuse est d’ailleurs ravie que la politique du CERN (et donc d’ATLAS) ait récemment changé et se soit ouverte à l’Open data. « Dans un milieu aussi collaboratif que la physique des particules, c’est presque indispensable. »

Et ensuite ? Ensuite, rendez-vous en Antarctique. Reina participe au projet Homeward Bound, une formation d’un an sur le leadership, la prise de parole pour les femmes de science. Cela lui a permis de se constituer un réseau diversifié de femmes scientifiques dans l’académie, en industrie, au gouvernement : de quoi lui donner beaucoup de perspectives sur différentes façons de faire de la science. Cette année de formation se conclut par une expédition en Antarctique composée de plusieurs petits projets de recherche. Retardé par la pandémie, le voyage en Antarctique de Reina devrait tout de même se faire avant la fin de l’année.

-- Agathe Delepaut

Dix portraits de femmes et d’hommes de l'IN2P3

Contact

Reina Camacho Toro
chercheuse au CNRS (LPNHE)