Sara Marcatili, trait d’union entre les particules et la vie

Portrait

Ingénieure au Laboratoire de physique subatomique et cosmologie de Grenoble, Sara Marcatili a la passion des détecteurs. Mais celui qu’elle conçoit, et qui a reçu le tout récent soutien de l’ERC, n’est pas tourné vers le cosmos ou installé aux abords d’un grand collisionneur. Il scrute des patients dans l’objectif de faire progresser le traitement des cancers par la protonthérapie.

Mais que vient faire une physicienne des particules dans un service hospitalier ? La question vient vite aux lèvres lorsque l’on rencontre la pétillante Sara Marcatili. Car l’ingénieure du Laboratoire de physique subatomique et cosmologie de Grenoble n’y traque ni les rayons cosmiques, ni les gerbes de particules d’un collisionneur, mais les « prompts gamma » qui s’échappent des patients venus guérir une tumeur par protonthérapie. « Les détecteurs utilisés dans le domaine médical exploitent les mêmes principes physiques que pour l’étude des particules », se justifie-t-elle aussitôt, comme si la question lui avait déjà été maintes fois posée.

Besoin d’être dans le concret, l’utile

Son travail lui offre donc une belle opportunité de marier le plaisir des concepts au besoin quasi-viscéral d’être dans le concret, « Mais j’adore aussi le principe-même d’un détecteur. Prendre comme une photo d’un phénomène invisible dans l’infiniment petit, cela me fascine depuis toujours », confie-t-elle pour éviter tout malentendu : dans cette double fonction de physicienne médicale, elle reste d’abord, et avant tout, une physicienne.

L’instrument qu’elle conçoit, prévient-elle, est encore très expérimental. Car cela ne fait guère plus d’un an qu’elle en a démarré la conception. Son but ? Mesurer la dose que reçoivent les tissus des patients lorsqu’on irradie leur tumeur de protons à haute énergie. « On calcule pour savoir où va être absorbé précisément le faisceau, mais on n’a pas les moyens de voir si les calculs sont justes. Dans le doute, on est donc obligé d’être prudent et de diminuer les doses dès qu’il y a un organe à risque ». Et de diminuer aussi, du coup, les chances d’éliminer totalement la tumeur. Cette cécité n’est cependant pas inéluctable ; Sara Marcatili a eu une idée pour y remédier.

Car s’ils ne ressortent pas du patient, ces protons interagissent avec les noyaux des atomes et produisent des photons gamma de haute énergie. « Comme ces gamma sont corrélés avec les protons envoyés, si on arrive à visualiser leur distribution dans l’espace on pourra en déduire celle de la dose délivrée ».

Concevoir un nouveau détecteur

L’appareil que met au point Sara Marcatili, à Grenoble, est donc un détecteur de photons gamma, « similaire à ceux qu’on utilise en astrophysique ». Elle va le tester, deux fois par an, au centre hospitalier de Nice. « Quatre jours de tests sous faisceaux, avec des horaires pas possibles et un stress intense parce qu’il faut aller très vite, trouver la solution à tous les problèmes. Mais j’adore ce travail en équipe », raconte-t-elle. Au-delà des concepts, la physique est aussi faite de défis humains. Mais les efforts consentis n’auront pas été vains et la physicienne peut se féliciter en ce début d’année d’avoir obtenu, pour booster son projet, une prestigieuse bourse ERC.

Portraits de Sara.
L’instrument que conçoit Sara Marcatili est encore expérimental. Son but ? Mesurer la dose que reçoivent les tissus des patients lorsqu’on irradie leur tumeur de protons à haute énergie. Crédit photos : Pierre Jayet.

Son destin de physicienne, Sara Marcatili l’a noué dès ses premiers jours de lycée. « Je voulais trouver des réponses sur comment marche l’Univers », se souvient-elle. Une mère biologiste et un père géologue l’encouragent dans cette voie. A l’université de Pise, où elle entame ses études en astrophysique, une chercheuse présente ses travaux sur un détecteur. C’est pour Sara le second déclic. « J’ai adoré sa présentation. Et j’ai décidé que je voulais faire comme elle ».
Elle bifurque en fin de Master vers la physique des particules et la conception des détecteurs pour le CERN, comme ATLAS et CMS. « J’ai beaucoup aimé, mais ce sont des instruments si grands qu’on y travaille que sur des parties infimes. Il faut 20 ans pour en avoir une vision d’ensemble ».

Elle se sent plus à l’aise dans une équipe de physique médicale, qui développe des outils de tomographie par émission de positrons (TEP). Elle y croise son superviseur, qui lui donne ses premières responsabilités. « Il était un peu vieille école, il vous laissait vous débrouiller seule, mais il m’a donné beaucoup de confiance en moi. C’est aussi grâce à lui que je suis capable de surmonter les difficultés dans mon travail d’aujourd’hui ».

Proche de la physique et des patients

Sara Marcatili entame en 2005 une formation pour être physicienne médicale dans les hôpitaux. Mais le démon de la recherche la tenaille. La difficulté de côtoyer chaque jour des patients malades, a aussi joué dans son désir de retourner dans un univers un peu plus abstrait. « Je ne regrette pas ce détour par la pratique hospitalière car beaucoup de physiciens n’ont aucune connaissance de ce qu’on peut faire concrètement avec un patient. On voudrait, par exemple, qu’il n’ait strictement pas bougé d’une mesure à l’autre, pour recaler l’image. Mais quand j’allais à l’hôpital, les patients n’arrivaient même pas à s’allonger. Nous, les physiciens, nous avons trop tendance à imaginer les patients comme de simples sphères... », ironise-t-elle.

Elle reprend donc un cursus de recherche sur la TEP. Puis trouve un post-doc en médecine nucléaire à Cardiff, au Pays de Galles. Elle y restera 18 mois, avant d’enchaîner en 2012 un nouveau contrat à l’Inserm, au Centre de recherche en cancérologie de Toulouse, où elle valide le doctorat en imagerie médicale qu’elle n’avait pas formellement. Elle y apprend le français à la dure, mais s’y sent chez elle : les Français sont si semblables aux Italiens ! Mais le monde des médecins n’est pas celui qu’elle cherche. Elle veut reprendre des travaux plus théoriques sur les détecteurs. Elle se tourne donc en 2016 vers l’IN2P3, au Laboratoire de physique subatomique et cosmologie de Grenoble, où elle finira par obtenir deux ans plus tard un poste permanent d’ingénieure.

Féminiser le monde de la recherche

Maintenant que sa carrière s’engage enfin sur des rails plus solides, elle envisage de nouveaux défis. Comme beaucoup de ses consœurs, elle voudrait contribuer à féminiser davantage le monde de la recherche. « Je veux montrer aux étudiantes qu’elles y ont leur place à tous les niveaux, y compris aux postes de direction. », précise-t-elle. Et pour cause : les processus de sélection restent largement façonnés pour avantager des profils masculins, « au détriment de femmes qui connaissent leur métier mais se mettent moins en avant ».

Le monde de la recherche serait-il différent avec plus de femmes ? « Je le crois. Parce que je constate qu’elles écoutent davantage et se remettent plus en question. J’ai vu beaucoup d’hommes persuadés d’avoir raison, imposer leur avis et foncer sur des concepts erronés. Savoir se remettre en question, au sein d’une équipe, est une démarche essentielle ». Elle n’a donc pas d’état d’âme à favoriser de son côté, à profil équivalent, les candidatures féminines. « Sinon, ça ne changera jamais. Récemment, lors d’un gros séminaire, tous les orateurs étaient des hommes. J’ai écrit aux organisateurs pour leur faire remarquer l'absurdité de cette situation.  Je ne peux pas croire qu’il n’y a aucune femme compétente. Mais c’est un cercle vicieux : tant qu’il n’y a pas de femmes dans les réseaux de décision, rien ne changera. ».

Portrait de Sara Marcatili devant son ordinateur.
Comme beaucoup de ses consœurs, Sara Marcatili voudrait contribuer à féminiser davantage le monde de la recherche. « Je veux montrer aux étudiantes qu’elles y ont leur place à tous les niveaux, y compris aux postes de direction ». Crédit photo : Pierre Jayet.

Elle-même a-t-elle envie de prendre le contrôle ? « Il ne s'agit pas de prendre le contrôle, mais de garantir une égalité d'opportunités sans biais » affirme-t-elle.  Le pouvoir pour le pouvoir ne fait donc pas partie de ses plans de carrière. « J’aimerais déjà terminer le projet d’instrument que je viens de commencer », souligne-t-elle. Car une dizaine d’années devraient être nécessaires pour construire un premier démonstrateur et le tester sur de vrais patients. Intégrer, aussi, plus tard, des collaborations de plus grande envergure. Et travailler un jour – pourquoi pas ? – dans la détection des neutrinos, l’un des objets les plus insaisissables de la physique. Continuer en somme à révéler l’invisible, aussi furtive que les particules qu’elle se plaît à traquer.

Emmanuel Monnier (Les Chemineurs).

Dix portraits de femmes et d’hommes de l'IN2P3

Contact

Sara Marcatili
Ingénieure de recherche en imagerie médicale et radiothérapie au LPSC.