Portrait JC Foy
Jean-Claude FOY responsable technique de la salle d'expérience NFS (Neutron For Science) au GANIL à Caen / Image A. Delepaut CNRS/IN2P3

Jean-Claude Foy, un destin au GANIL

Portrait

Le hasard a voulu qu’il intègre il y a trente ans le GANIL (Grand accélérateur national d’ions lourds) à Caen, comme technicien. Il y a gravi un à un les échelons, jusqu’à diriger l’aménagement technique de la salle NFS, qui produit des faisceaux de neutrons pour les physiciens et physiciennes nucléaires. Un projet exaltant que Jean-Claude Foy a vécu comme « la chance d’une vie ».

Il l’avoue, c’est un peu par hasard que Jean-Claude Foy est entré, un 18 novembre 1991, au GANIL de Caen, l’un des plus important centres de physique nucléaire au monde. « J’ai répondu à une offre d’emploi dans un quotidien de la région. Le GANIL cherchait un technicien supérieur en électrotechnique ou électronique. J’ai postulé. » Sans même savoir, reconnaît-il, de quoi il retournait. Quand il l’a su, il s’est senti tout petit. Car Jean-Claude Foy n’a pas fait de grandes études universitaires, encore moins d’école d’ingénieur. Non, sa scolarité a plutôt suivi les chemins de traverse.

 « Au collège, je voulais être pilote de chasse mais je ne suis pas parvenu à intégrer une école militaire. Résultat, en fin de 3e je me suis dit « mince qu’est-ce que je vais faire ? ». Ses professeurs l’aiguillent vers un BEP d’électronicien. « J’adorais tout ce qui était petit, minutieux. » Le jeune Jean-Claude a surtout un atout : sa curiosité. Il aime comprendre comment les choses fonctionnent, bricoler sa mobylette, regarder les gens faire et les écouter. Ce BEP est un déclic. Il s’accroche en première d’adaptation, passe son BAC et enchaîne sur un BTS d’électronique. Il serait même allé au-delà si le décès de son père ne l’avait contraint à chercher tout de suite du travail. C’est donc avec ce dernier diplôme en poche qu’il tombe sur l’offre du GANIL.

Début intense au GANIL

Son premier jour l’a tellement marqué que, trente ans plus tard, il s’en souvient encore. « Je suis arrivé un lundi matin, à 8h30. J’ai rencontré un monsieur qui s’appelait Claude Bieth et qui était le responsable du SAIF, le Service des applications industrielles des faisceaux. Ce jour-là, ils démarraient une expérience avec la communauté du spatial. » Le candidat à l’embauche est mis tout de suite dans le bain, façon intense. « Je ne suis rentré chez moi que le lendemain matin, à 8H30. J’ai passé toute la nuit au Ganil ». Une nuit durant laquelle Claude Bieth lui fait un cours magistral, entre 3h et 5h du matin, sur le fonctionnement d’un accélérateur, de la source à la cible. « Il m’a tout décrit, à la main, sur un papier que j’ai toujours dans mon bureau. » Certes, il le reconnaît : il n’avait à l’époque guère compris les explications du maître. « C’était trop nouveau pour moi. Mais aujourd’hui, quand je le relis, ça me parle. » Alors oui, le décès de son mentor au printemps dernier, fauché par la première vague de COVID, l’a affecté. « C’était un grand homme », dit-il sobrement de celui à qui il doit son intégration dans la recherche.

Dans son sillage, Jean-Claude Foy travaille d’abord au SAIF, où il développe des systèmes électroniques pour les salles d’expérience de GANIL. Il collabore en particulier avec l’industrie spatiale, les ions lourds de l’accélérateur simulant le rayonnement cosmique auquel sont soumis les composants en orbite. L’extrême variété de ses missions lui plaît. « J’en apprends tous les jours. Je me considère comme un éternel étudiant, comme disait le physicien Georges Charpak, qui travaillait au CNRS et que j’ai eu l’occasion de rencontrer peu de temps après son prix Nobel ». Un autre « grand monsieur »...

Le défi de la salle NFS

Depuis, Jean-Claude Foy a pris à son tour de l’envergure. Il est depuis six ans le responsable technique de la salle d’expérience NFS, Neutron For Science, installée sur le nouveau système Spiral2 du GANIL pour produire des neutrons à partir du faisceau primaire. Tout était à construire : il a fallu intégrer un à un les équipements scientifiques, faire fonctionner ensemble des techniques de toutes natures. Un défi exaltant, qui lui a valu en 2021 la médaille de Cristal du CNRS.

Jean-Claude Foy, responsable technique de la salle NFS au GANIL.
Jean-Claude Foy inspecte les instruments de la toute nouvelle salle NFS au GANIL où l'intense faisceau de protons de l'installation SPIRAL2 est converti en neutrons.  © A. Delepaut CNRS/IN2P3, Philippe STROPPA/CEA/CNRS

Jean-Claude Foy se souvient du plaisir intense ressenti lorsqu’ont jailli le premier faisceau, les premiers spectres en neutrons. « Ça a marché du premier coup. C’était une belle récompense pour le travail accompli par tous ». Aujourd’hui, tout est assemblé, l’ensemble est en phase de test, ou de « commissionning » dans le jargon technique du CNRS. Encore un peu de patience, et les expériences réelles vont bientôt démarrer. L’instrument entrera alors dans sa phase d’exploitation. Fin de mission ? Pas vraiment, car Jean-Claude Foy aidera les physiciens français et étrangers à greffer de nouveaux détecteurs. « Je dois garantir le bon fonctionnement de notre installation primaire, fournir les neutrons aux physiciens avec les caractéristiques qu’ils demandent. » Une lourde responsabilité, tant les plannings sont serrés. Les pannes doivent être très vite réparées. « Les expériences s’enchaînent 7 jours sur 7, 24h/24. C’est du travail de nuit, en décalé, c’est très prenant. »

Mais gratifiant. Car le directeur technique a la conviction d’apporter sa patte, ses propres connaissances à celles qu’on lui a transmises. « Il y a cette liberté d’apporter quelque chose d’intime, votre façon de voir les choses. Tous les jours les physiciens ont des idées, parfois farfelues mais on se dit « il faut tenter, on verra bien ». Et parfois ça marche ! », raconte-t-il.

Trouver des solutions aux demandes des physiciens

Des idées, il faut en avoir en physique nucléaire, qui impose des environnements redoutables aux instruments. « Mais il y a toujours une solution », répète Jean-Claude Foy. Le convertisseur rotatif neutrons, en particulier, lui a donné du fil à retordre. C’est un disque de béryllium réfrigéré, en rotation rapide, sur lequel cogne le faisceau primaire pour produire des neutrons. Le faisceau a une puissance de 2 kW, focalisée sur quelques millimètres-carrés.« Imaginez que vous concentriez toute la chaleur d’un radiateur de 2000 Watts sur quelques millimètres-carrés, ça devient quasiment un chalumeau ! », explique-t-il. Que le disque s’arrête de tourner, et la puissance du faisceau peut faire fondre la cible. Il fallait donc trouver un capteur de vitesse, qui puisse mesurer en permanence cette rotation dans un environnement très sévère mêlant chaleur et radiation, sous vide. « J’ai modifié un capteur du commerce pour qu’il puisse travailler dans un tel environnement. Aujourd’hui ça fonctionne très bien. »

L’entrée en phase d’exploitation de NFS devrait l’occuper quelques belles années. Et après ? « Reprendre la responsabilité technique d’un nouveau projet ? Je ne pense pas. NFS est une très belle fin de carrière, une chance énorme qui n’arrive qu’une seule fois dans une vie. » Un cadeau, peut-être, de la Providence. Car était-ce vraiment le hasard qui l’a conduit, il y a trente ans, au GANIL ? Son esprit cartésien se trouble. « Pour moi, ce n’était pas un hasard, c’était une destinée », confie-t-il. Il en est encore plus convaincu depuis le jour où il a appris que le projet NFS se ferait en collaboration avec des scientifiques tchèques. Ça m’a fait chaud au cœur, parce que ma maman est tchèque, elle est née à Prague. J’y ai passé une partie de mon enfance et j’y ai encore de la famille. » La vie se plaît parfois à enchaîner de troublantes coïncidences…

Emmanuel Monnier (Les Chemineurs)

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