Portrait de Jean Schihin devant une horloge.
Jean Schihin, directeur administratif et pilier porteur de l'IPHC depuis 30 ans. © Vincent Eschmann Photography.

Jean Schihin, pilier porteur de l’IPHC

Portrait

A 62 ans, dont 30 passés à la direction administrative de l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien de Strasbourg, Jean Schihin a porté les métamorphoses successives de ce grand laboratoire du CNRS. Il en est à la fois la cheville ouvrière, la mémoire personnelle et le catalyseur administratif sans lequel toute recherche s’arrête.

Face aux stars de la recherche, dont les travaux s’affichent en pleine lumière, Jean Schihin consent volontiers à rester dans l’ombre « Je n’ai pas de problème d’ego par rapport à ça », confie-t-il sans façon. Car Jean Schihin fait partie de ceux dont on parle peu : les directeurs administratifs. Sans bruit, il permet à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC) de Strasbourg de fonctionner.

30 ans dédiés à la bonne marche de l'IPHC

Il en gère le budget et les hommes. La logistique aussi, du moins quand l’époque n’était pas encore à tout externaliser. Il programme les achats, surveille les approvisionnements. Bref, il assure le quotidien, en relation étroite avec le directeur d’unité. Il est cette huile nécessaire qui fait tourner les rouages. Celui qui aide aussi les chercheurs à valoriser leurs travaux, quitte à les bousculer un peu. « Un chimiste va n’avoir aucun problème à valoriser son travail dans l’industrie, mais ce n’est pas forcément le cas d’un physicien des particules. Il faut parfois pousser un chercheur à y réfléchir », souligne-t-il. Sans oublier de promouvoir l’établissement lui-même.

D’aucuns trouveraient ces tâches un peu ingrates, limite terre-à-terre face aux mystères galactiques qui occupent ses confrères chercheurs, les yeux rivés sur les secrets les plus intimes de la matière qu’ils entrechoquent à hautes énergies. Mais les voies de la passion restent impénétrables. « Organiser des services m’a toujours plu. Gérer des gens, développer leurs compétences, trouver la meilleure organisation possible... », s’enthousiasme l’homme de main et de tête, qui a consacré 30 ans de sa vie à cet établissement. Ses particules à lui sont les près de 400 salariés que compte l’institut, et ses propres agents dont il gère carrières et promotions. Quitte à se raidir face aux plus jeunes qui voudraient que tout vienne tout de suite : malgré ses airs bonhommes, il ne faudrait pas non plus le confondre avec le père Noël !

Arrivé au CNRS par hasard

Qu’est-ce qui l’a amené à prendre en main ce gros laboratoire du CNRS ? Beaucoup de hasard, car rien ne le prédestinait au monde de la recherche. « Mon père travaillait dans la communauté urbaine de Strasbourg, il était plutôt un administratif, spécialiste d’urbanisme. » Le jeune Jean n’avait au lycée qu’une grande ambition : faire Science Po, « pour avoir une ouverture d’esprit. » Il intègre donc l’Institut d’étude politique (IEP) de Strasbourg, comme il se l’était promis, puis complète par une maîtrise en droit public. Tenté par l’ENA, il en prépare le concours. Mais tiraillé en parallèle par l’envie de gagner sa vie, il retient en 1982, juste après son service militaire, deux offres d’emploi alléchantes. L’une au CNRS, l’autre… à la SACEM, pour gérer les droits d’auteur des artistes. « J’ai choisi le CNRS. D’abord parce que je pensais que ça me laisserait plus de possibilités pour reprendre ma préparation du concours de l’ENA, mais aussi parce qu’à la SACEM il fallait commencer à la base et se farcir les bals du samedi soir ».

Certes, au CNRS on chante et on danse peu (quoique). Peu importe. Ce qui devait être un job provisoire deviendra un plan de carrière de 40 ans, rythmé de transformations multiples et de rencontres qui élargissent sans cesse son horizon. « Ce que je voulais avoir en faisant Science Po, j’ai finalement pu le vivre au CNRS », estime-t-il aujourd’hui sans regret.

Trois portraits de Jean Schihin dans les locaux de l'IPHC.
Jean Schihin, directeur administratif de l'IPHC depuis 1992, accompagne individuellement chaque salarié depuis 30 ans. « On peut donc dire que j’ai croisé au quotidien près d’un millier de personnes, ça fait pas mal de monde » souligne-t-il avec humour. Crédit photo : Vincent Eschmann Photography.


Entré donc en 1982 comme chargé des affaires financières, il est nommé en 1992 directeur administratif du Centre de recherche nucléaire, à Strasbourg. « C’était un laboratoire qui avait connu une forte croissance dans les années 1960, mais qui s’était enkysté dans une certaine routine. Son nouveau directeur, qui avait pris ses fonctions en 1992, m’avait appelé pour secouer un peu la bête », raconte-t-il. Le mastodonte d’environ 400 permanents, qui possédaient sa propre imprimerie et ses magasins, est dégraissé à coup d’externalisations et de départs à la retraite que Jean Schihin accompagne au mieux. « Il y a eu bien sûr des résistances mais ça s’est passé plutôt bien », se souvient-il. Les rapports entre le directeur d’unité et la direction générale de l’IN2P3 virent néanmoins à l’aigre. Le laboratoire est placé en restructuration en 1997 et change de nom pour devenir l’Institut de recherche subatomique (IReS), avec un nouveau directeur qui renouvelle sa confiance à son directeur administratif.

Le choc de la fermeture du Vivitron

L’hémorragie continue, avec la disparition de plusieurs équipes. « Je m’en souviens comme une période de stress assez intense parce qu’il y a eu évidemment un sentiment de révolte au sein du laboratoire mais ce n’est pas la période la plus difficile que j’ai eu à vivre au cours de ma carrière ».

Non, le plus douloureux viendra plus tard, avec la mise à l’arrêt déchirante, le 8 décembre 2003, du Vivitron. Cet accélérateur électrostatique de particules, dont la construction avait démarré au sein du laboratoire au milieu des années 1980, a lancé ses premiers faisceaux en 1994. Son concept est prometteur, ses dimensions impressionnantes. Las, il n’atteindra jamais ses objectifs. En 2004, le couperet tombe : le projet est arrêté, après seulement 10 ans d’activité, provoquant un conflit majeur. « Quasiment une guerre civile », insiste Jean Schihin, durant laquelle il faut reconvertir dans la douleur les deux douzaines d’agents qui faisaient fonctionner l’appareil.

Deux ans plus tard, l’IReS fusionne en 2006 avec le Centre d'écologie et physiologie énergétiques (CEPE) et un laboratoire de chimie analytique de l’Université de Strasbourg, pour fonder l’IPHC sous sa forme actuelle, dont Jean Schihin reste directeur administratif. Aux physiciens des particules se mêlent désormais des spécialistes du manchot empereur, dans un éclectisme qui n’est pas pour déplaire à l’ancien étudiant de Science Po.

La porte du bureau toujours ouverte

Ces changements de thématiques s’accompagnent d’inflexions majeures dans l’organisation du travail. Jean Schihin voit les directeurs scientifiques assumer des responsabilités de plus en plus écrasantes, tandis que s’empilent au-dessus d’eux des strates multiples de décisions, qui multiplient les procédures chronophages. « L’exigence de sécurité juridique en particulier, à travers l’application à mon métier du principe de précaution, atteint des niveaux extrêmes aujourd’hui. » Depuis la disparation brutale, en 2008, de l’agence comptable de l’IN2P3, sa liberté d’intervention s’est réduite, tout comme les rencontres physiques entre agents, remplacées comme dans beaucoup d’autres administrations par des procédures dématérialisées. « Je vais peut-être paraître vieux jeu, mais je trouve qu’il y a quand même une perte dans la qualité du travail que l’on fait », soupire-t-il.  Il avoue préférer gérer l’humain « à l’ancienne », gardant la porte de son bureau toujours ouverte. 

Jean Schihin a donc personnellement accompagné les près de 400 salariés qui constituaient le Centre de recherche nucléaire à son arrivée, et qui sont tous partis les uns après les autres, remplacés aujourd’hui par quelques 400 nouvelles personnes. « On peut donc dire que j’ai croisé au quotidien près d’un millier de personnes, ça fait pas mal de monde ». Et le total aurait pu être plus élevé s’il n’avait fait le choix de rester à Strasbourg, pour s’occuper d’un frère lourdement handicapé, dont il a toujours la charge.

Aujourd’hui que la retraite approche, il met de l’ordre dans ses projets, délègue davantage, organise une transition douce et efficace. Au successeur qui prendra sa place dans quelques années, il souhaite d’essayer toujours de faire mieux mais surtout, de trouver du plaisir, comme lui, à faire chaque jour ce travail. « Cela peut paraître surprenant, mais je me suis beaucoup amusé », avoue-t-il avec malice. Car s’il veut bien œuvrer dans l’ombre, autant que ce soit le cœur gai.

Emmanuel Monnier (Les Chemineurs)

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