Antimatière : l’expérience GBAR du CERN rejoint l’anticlub !

Physique des particules Résultats scientifiques

L’expérience GBAR, au CERN, vient de rejoindre le club très sélect des expériences qui ont réussi à synthétiser des atomes d’antihydrogène. Il s'agit d'une étape majeure pour la collaboration GBAR dont l’objectif est de mesurer si l’antimatière se comporte à l’identique de la matière dans le champ de gravité terrestre. Les équipes françaises du CNRS et du CEA sont fortement impliquées dans l’expérience.

Le but ultime de l’expérience GBAR (Gravitational Behaviour of Antihydrogen at Rest) est de mesurer l’accélération d’un atome d’antihydrogène dans le champ de gravité terrestre, et de la comparer à celle de la matière ordinaire : un test crucial du principe d'équivalence à la base de la relativité générale d’Einstein. Mais préparer un antiatome suffisamment lent pour le voir « tomber » relève de l’exploit. La voie choisie par GBAR consiste à produire dans un premier temps un atome d’antihydrogène puis d’en faire un ion positif (l’équivalent antimatière d’un ion H-). Dans l’étape suivante l’ion est ralenti par des techniques d’optique quantique. Enfin l’ion est finalement neutralisé pour faire la mesure de chute libre. C’est la première étape de la production de l’atome d’antihydrogène que la collaboration a annoncé avoir franchie lors des dernières rencontres de Moriond en mars 2023.

Pour ce faire, l’équipe a développé un protocole complexe dans lequel les atomes d’anti-hydrogène sont assemblés à partir d’antiprotons produits par le Décélérateur d’antiprotons (AD), et de positons produits dans GBAR. Les antiprotons de l’AD, d’énergie 5,3 MeV,  sont décélérés et refroidis dans l’anneau ELENA, et un paquet de quelques millions d’antiprotons de 100 keV est envoyé à GBAR toutes les 2 minutes. Dans GBAR, un tube de glissement décélère encore ce paquet jusqu’à une énergie ajustable de quelques keV. En parallèle, dans une autre partie de GBAR, un accélérateur linéaire envoie des électrons de 9 MeV sur une cible, où leur interaction produit des positons. Ces positons sont récupérés, et accumulés dans une série de pièges électromagnétiques. Juste avant l’arrivée du paquet d’antiprotons, les positons sont envoyés sur une couche de silice nanoporeuse, d’où environ un sur cinq ressort sous forme d’un atome de positronium (Ps, l’état lié d’un positon et d’un électron). Lorsque le paquet d’antiprotons traverse le nuage de Ps, un échange de charge peut se produire : le positronium cède son positon à l'antiproton, qui devient un anti-hydrogène.

Une vingtaine d'antihydrogène détectés

Fin 2022, au cours d’un fonctionnement de plusieurs jours, une vingtaine d’atomes d’antihydrogène ainsi produits ont été détectés, validant cette méthode de production “en vol” pour la première fois. 

Après cette première étape essentielle, la collaboration GBAR va maintenant améliorer la production d’atomes d’antihydrogène. Ceci permettra d’abord des mesures de précision sur les antihydrogènes eux-mêmes, en particulier l’écart d'énergie qu’il y a entre deux niveaux atomiques bien particuliers : le décalage de Lamb. Cette mesure donnera une valeur plus précise du rayon de l’antiproton. Suivra ensuite la production d’ions d’antihydrogène positif, qui nécessitera des performances encore accrues des deux faisceaux et de leur combinaison, et enfin la mise en œuvre du système optique (lasers) de refroidissement de ces ions et de photo-détachement d’un positon, pour observer enfin la chute libre d’un atome d’anti-hydrogène.

Zone expérimentale de GBAR au CERN. On voit la direction des antiprotons (en provenance d’ELENA, au-dessus) et des positons (produits par un linac d’électrons, protégé dans le bunker à droite), ainsi que l’emplacement de la chambre de réaction et le point de détection des anti-hydrogènes. Au premier plan la future ligne pour les ions anti-hydrogène positifs. Image : P. Pérez/CEA

GBAR n'est pas seule à vouloir braver le principe d’équivalence d’Einstein : deux expériences concurrentes de l'AD s'efforcent de déterminer si l'antihydrogène pourrait tomber vers le haut. ALPHA, pionnière de la synthèse et du piégeage de l'antihydrogène neutre, est la plus avancée. L’autre expérience AEgIS produit quant à elle de l'antihydrogène en utilisant la même réaction que GBAR avec le positronium. Elle vise à détecter une éventuelle trajectoire descendante des antiatomes volants à l'aide d'un interféromètre sensible.

La collaboration GBAR rassemble 18 instituts de 9 pays et son porte parole Patrice Perez de l’Irfu. Les laboratoires français impliqués sont IJCLab à Orsay (IN2P3), le LKB à Paris (INP), l’Irfu à Saclay (CEA),  l’Institut Laue Langevin de Grenoble et l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg.

Le CERN, fabricant d’antiatomes depuis 1997

GBAR n'est pas la première expérience à produire de l'antihydrogène : la première production à l'installation LEAR du CERN en 1997 a produit 7 antiatomes, mais à une énergie trop élevée pour être mesurés. Fort de ce premier succès, l’Accumulateur d’antiprotons, utilisé pour la découverte du boson vecteur intermédiaire en 1983, a été reconverti en décélérateur, devenant l'AD, seule installation au monde à fournir des antiprotons de basse énergie (5 MeV) aux utilisateurs. Après la démonstration du piégeage d'antiprotons par les expériences ATRAP et ATHENA, l'expérience ALPHA a été la première à fusionner des antiprotons et des positrons piégés et à piéger les atomes d'antihydrogène qui en résultent. Depuis, des expériences menées sur les lignes de faisceaux voisines ATRAP, AEgIS et ASACUSA ont également franchi cette étape. GBAR rejoint maintenant ce club d'élite, ayant produit des atomes d'antihydrogène de 6 keV en vol. Plutôt que de stocker les ingrédients et de les réunir délicatement, GBAR produit de l'antihydrogène sous la forme d'un faisceau de faible énergie qui est ensuite transporté à travers des appareils en aval pour des mesures de précision.

Pour en savoir plus

Contact

David Lunney
Chercheur à IJCLab
Laurent Vacavant
Directeur adjoint scientifique "Particules et Hadronique" (IN2P3)
Perrine Royole-Degieux
Chargée de communication (IN2P3)