Véronique Puill lauréate du prix Srodogora : « J’ai toujours aspiré à donner du sens à mon travail et celui de mes collègues »

Distinctions Portrait

Ingénieure de formation et directrice du département Détecteurs et Instrumentation d’IJCLab, Véronique Puill a reçu le prix Srodogora 2023. Cette distinction de la Fondation CNRS récompense chaque année une femme ingénieur technicienne administrative (ITA) en l’honneur de Suzanne Belle Srodogora, première femme lauréate d’un Cristal du CNRS. À cette occasion et en écho à la « Journée des femmes et des filles de science » du 11 février prochain, Véronique se livre sur un parcours remarquable qui l’a amenée des cavernes du LHC jusqu’aux sommets du LAL puis d’IJCLab.

Tout comme Suzanne Belle Srodogora, Véronique Puill a gravi les échelons du CNRS jusqu’à des postes à haute responsabilité à force de conviction et d’engagement pour la science. Si ce parcours a de quoi impressionner, c’est avant tout l’humilité et l’humanité de cette ingénieure en technologies de détection qui frappe, le moment venu pour elle de se pencher sur les temps forts d’une carrière à l’IN2P3 loin d’être terminée : l’émotion et les larmes à l’admission du concours CNRS, les journées entières passées à finaliser les branchements d’un détecteur dans l’atmosphère intemporelle des cavernes du CERN, les sauts de joie, avec les collègues, à l’observation d’un premier signal… Une humilité qui, depuis deux décennies, imprègne le travail de Véronique, en sa qualité d’ingénieure comme celle de manageuse d’importantes collaborations.  

Après des études de physique expérimentale à Paris, Véronique tombe très vite dans la marmite des grandes expériences de physique des particules grâce à sa thèse de doctorat qui la conduit dans les entrailles de l’expérience CMS à partir de 2000. « J’ai découvert les shifts en 3x8 au CERN dans un hangar aussi grand que celui d’un aéroport, rempli d’expériences en cours de montage J’ai travaillé de nuit, dormi par terre en attendant que l’accélérateur soit réparé, collaboré avec des chercheurs du monde entier passionnés par leur travail. En bref, c’était merveilleux ! ». Inconcevable alors de ne pas transformer l’essai après des débuts aussi prometteurs. Au terme d’une brève mission dans l’industrie, Véronique obtient le concours d’ingénieur de recherche du CNRS en 2002, un moment gravé dans sa mémoire : « Le coup de fil de la dame du bureau des concours m’annonçant que j’étais admise reste, plus de vingt ans plus tard, le souvenir le plus marquant de ma carrière ».

"Un ingénieur" comme les autres 

Puis viennent les débuts au LAL, compliqués par la nécessité de faire ses preuves sur des technologies de détection encore inconnues de Véronique, dans un environnement très masculin. « Après avoir dû convaincre mes collègues que, malgré mon expérience limitée et surtout le fait que j’étais une femme, j’étais « un ingénieur » comme les autres, je me suis investie dans le domaine de la photodétection en étudiant de nouveaux détecteurs émergeants. J’ai notamment contribué à orienter le travail du groupe vers la détection Tcherenkov, expertise qui n’existait pas à l’IN2P3, ce qui nous a permis d’intégrer de grandes collaborations internationales telles que l’UA9 au CERN ».

Au fil des ans, Véronique s’investit entièrement dans les projets de détecteurs du LAL, des études préliminaires aux montages sur site, de la recherche de financements à la gestion de projets, dirigeant des équipes toujours plus importantes. Elle en arrive, en 2019, à proposer puis piloter le projet PLUME (Probe for LUminosity MEasurement in LHCb), qui développera un outil pour mesurer la luminosité du LHC au niveau de l’expérience LHCb. Basé sur la technologie Tcherenkov, dont Véronique est devenue experte, PLUME est installé en 2021 sur le collisionneur. « PLUME, c’est un moment charnière de ma carrière, car je prenais une responsabilité importante dans LHCb, une collaboration internationale impliquant 90 laboratoires et plus de 1400 personnes, avec un calendrier très serré. Je me réjouis de pouvoir affirmer que le détecteur donne aujourd’hui une entière satisfaction à la collaboration ».

De l'ingénierie au management 

Ces succès scientifiques ne passent pas inaperçus et portent leurs fruits sur le plan professionnel : dès 2017 Véronique rejoint l’équipe de direction du LAL, au sein de laquelle elle participe à la refonte des laboratoires d’Orsay jusqu’à son aboutissement, la création d’IJCLab. « Je garde de ce processus le souvenir d’une période très intense et difficile à vivre pour la manageuse que j’étais, qui voulait limiter le stress engendré par le changement important qui attendait tous les agents, malgré le très grand potentiel que nous offrait la création de ce nouveau laboratoire ».

L’attention donnée au bien-être de ses équipes reste un crédo de l’action de Véronique en tant que manageuse, au LAL, puis à IJCLab où elle prend la responsabilité du Département Détecteurs et Instrumentation dans un contexte difficile de COVID-19 : « A mesure que je gagnais en responsabilités managériales, je me suis rendue compte que je voulais suivre les mêmes principes pour un petit groupe, un département ou un laboratoire :  donner du sens, reconnaître le travail et l’implication des agents, partager, accompagner, aider là où je le peux. Je pense n’avoir jamais transigé sur le refus de l’injustice et de l’incohérence entre les principes et les actes. C’est une ligne difficile à suivre qui peut se traduire par des sacrifices et des renoncements mais qui offre une paix de l’esprit inestimable ».

L'avenir est dans l'égalité 

Cette paix intérieure constitue un atout considérable pour affronter les nouveaux défis auxquels Véronique fait face : depuis 2022, elle est responsable technique pour la contribution d’IJCLab à l’expérience internationale DUNE, le monumental projet de détection de neutrinos aux Etats-Unis. L’équipe IJCLab pilote notamment la conception, la simulation, le montage et l’installation de la cathode de la TPC (Time Projection Chamber) ainsi que la conception des cheminées d’insertion dans le cryostat, qui servent d’interface entre l’intérieur et l’extérieur du cryostat. Entre temps, les consécrations pour cette carrière guidée par des principes forts ont commencé à tomber : en 2021, Véronique reçoit un Cristal, distinction réservée aux ingénieurs CNRS. « Bien que le prix m’ait été remis à titre individuel, c’est évidemment le travail de toute l’équipe qui est récompensé. Je vois donc plutôt cette distinction comme un cristal collectif ». Deux ans plus tard, c’est donc de l’obtention du prix Srodogora, réservé aux femmes ingénieures, que Véronique peut se targuer – l’occasion de méditer sur ce qu’est être une femme en science en 2024.

« Je pense qu’aujourd’hui, le parcours des femmes est mieux considéré qu’au début de ma carrière, leur travail davantage reconnu. Les postes les plus importants dans les ministères, les instituts de recherche ou les universités sont aujourd’hui aussi occupés par des femmes, ce qui était très rare auparavant. Aujourd’hui, je n’ai pas l’impression qu’être une femme me rend moins crédible auprès du reste de l’équipe. J’ai conscience que ceci est aussi dû à un environnement certainement privilégié : la direction de mon laboratoire donne les moyens à ses agents, ingénieurs ou chercheurs, hommes ou femmes, Français ou étrangers, de développer leur expertise, lancer des projets, prendre des responsabilités dans des collaborations. Et par-delà le laboratoire, les actions du CNRS contribuent également à faire évoluer la représentation des femmes dans la société : c’est le premier organisme de recherche français à avoir créé, il y a 22 ans, une structure dédiée à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Depuis, il agit pour rendre les femmes plus visibles et forme les personnels aux enjeux du harcèlement et des discriminations de tous types. Le prix Srodogora de la Fondation CNRS participe à cette évolution positive, à améliorer notre visibilité. C’est un honneur d’en être la lauréate cette année ».

Contact

Véronique Puill
Ingénieure de recherche en développement de détecteurs de particules
Thomas Hortala
Chargé de communication