Un premier mois réussi pour le run O3 de LIGO et Virgo

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Le premier mois de la nouvelle phase de recherche d’ondes gravitationnelles (OGs) menée par LIGO et Virgo a déjà offert aux scientifiques des deux collaborations une riche moisson d’observations, dont l’interprétation va demander beaucoup de travail. Cette prise de données, la campagne d’observation (ou “run”) O3, a démarré le 1er avril 2019 et devrait durer une année entière. Les améliorations de la sensibilité des détecteurs et le fait que les trois instruments LIGO-Virgo fonctionnent de concert depuis le début du run offrent des perspectives sans précédent. De plus, pour la première fois, les alertes LIGO-Virgo sont publiques. Elles sont envoyées rapidement après la détection en temps réel de possibles signaux transitoires d’OGs. Cette stratégie a pour but de faciliter le suivi de ces observations par d’autres observatoires et augmente encore les perspectives déjà prometteuses de l’astronomie multi-messagers.

 “Je n’aurais pas pu rêver d’un meilleur moment pour être de quart !”, s’exclame Olivier Minazzoli, chercheur au Centre Scientifique de Monaco, actuellement détaché au laboratoire ARTEMIS de Nice (Observatoire de la Côte d’Azur), et qui était en charge du suivi de la qualité des données de Virgo la semaine dernière. “J’espérais au mieux voir une possible fusion de deux trous noirs, certainement pas deux signaux candidats impliquant potentiellement des étoiles à neutrons, dont peut-être la première fusion entre une étoile à neutrons et un trou noir jamais observée!”

 Cinq alertes publiques ont été émises par LIGO et Virgo depuis le 1er avril : elles peuvent être consultées librement via le site internet Gravitational Wave Candidate Event Database. Trois d’entre-elles ont été classées provisoirement dans la catégorie des fusions de couples de trous noirs (en abrégé “BBH”, pour “Binary Black Holes” en anglais). Des analyses supplémentaires, actuellement en cours, sont nécessaires pour compléter leur étude. Si ces détections sont confirmées, elles s’ajouteront au catalogue des 10 fusions BBH détectées par LIGO et Virgo lors des précédentes campagnes de prise de données et contribueront à améliorer notre compréhension des processus de formation de ces objets extrêmement compacts, ainsi que de la nature de la gravitation, de l’espace et du temps.

 Les deux autres événements demandent des études plus poussées, menées tant par les équipes de LIGO et Virgo que par une communauté scientifique plus large. Ces signaux semblent issus de la fusion de systèmes binaires contenant au moins une étoile à neutrons (“NS”, pour “Neutron Star” en anglais), la forme de matière la plus dense que nous connaissons dans l’Univers.

 La probable fusion d’un système binaire d’étoiles à neutrons (“BNS” pour “Binary Neutron Star”) a été observée jeudi 25 avril vers 8h18 temps universel (10h18 heure de Paris) : cet événement a été baptisé “S190425z – voir ce lien pour plus d’informations. Ce candidat viendrait à la suite du fameux événement GW170817, la première fusion d’un BNS, détectée il y a deux ans et qui a marqué la naissance de l’astronomie multi-messagers avec des OGs. La recherche de contreparties électromagnétiques du candidat S190425z se poursuit. C’est un défi bien plus difficile que dans le cas de GW170817 car la nouvelle source est quatre fois plus lointaine et sa localisation dans le ciel fournie par LIGO et Virgo est bien plus incertaine. En effet, le signal du candidat S190425z a été enregistré alors que seulement deux détecteurs sur trois fonctionnaient : LIGO-Livingston et Virgo.

 

Simultation fusion étoile neutrons
Simulation d'une fusion d'étoiles à neutrons binaires. En haut à gauche, dans le sens des aiguilles d'une montre : les deux étoiles à neutrons (dessinées en blanc) s'enroulent en spirale l'une autour de l'autre, entrent en contact et se fondent en une étoile à neutrons lourds. Une partie du matériau (avec une densité codée par couleur) pollue l'environnement environnant et forme un épais disque d'accrétion autour de l'objet résiduel. L'ensemble de la séquence couvre environ 0,03 s d'évolution. Dans la plupart des cas, l'étoile à neutrons lourde ne peut survivre beaucoup plus longtemps à sa propre gravité et finit par s'effondrer dans un trou noir.
Crédits : Ciolfi, Giacomazzo (Virgo Collaboration), Kastaun (LIGO Scientific Collaboration)

 

L’autre signal potentiel impliquant une étoile à neutrons a été détecté le lendemain 26 avril vers 15h22 temps universel (17h22 heure de Paris) : les informations sur ce candidat, S190426c, sont disponibles ici. Si les trois détecteurs LIGO-Virgo prenaient des données à ce moment-là, le signal détecté est plus faible et il est donc possible qu’il ne vienne pas du cosmos. Néanmoins, S190426c est un candidat très intéressant car sa forme suggère qu’il a été émis par un système double mixte, la fusion d’une étoile à neutrons avec un trou noir (“BH”) plus massif – un événement “NS-BH”. Si cette classification se confirme, ce serait une autre découverte sans précédent. L'étude détaillée du candidat S190426c va demander du temps et s’annonce passionnante pour les équipes de LIGO et de Virgo.

“Je suis enthousiasmée par la perspective d’utiliser les OGs et les observations multi-messagers pour en apprendre davantage sur la nature de la matière dont sont faites les étoiles à neutrons, aux densités les plus extrêmes – une cuillère à café de cette matière pèse jusqu’à un milliard de tonnes”, ajoute Tanja Hinderer, post-doctorante à l’Université d’Amsterdam (Pays-Bas). “Les OGs nous renseignent sur les propriétés des astres qui fusionnent tandis que les possibles contreparties (ondes électromagnétiques ou émissions de neutrinos) donnent des informations sur l’astre résultant de la fusion. Combiner les informations provenant de différents messagers est la clef pour comprendre ces phénomènes extrêmes. Les alertes publiques rendent passionnantes la recherche de contreparties multi-messagers ; je suis très curieuse de voir les signatures variées laissées par de possibles événements BNS et NS-BH pendant le run O3 et les informations que nous pourrons en retirer.

 “La campagne d’observation actuelle LIGO-Virgo se révèle déjà la plus intéressante de toutes”, ajoute David Reize, le directeur exécutif de LIGO à Caltech. “Nous avons des indications d’une possible observation d’un trou noir avalant une étoile à neutrons ─ ce qui serait une première. Si ce résultat se confirme, LIGO et Virgo auront touché le gros lot ! Mais nous savons que chaque annonce d’une nouvelle détection est précédée par une phase intense de travail méticuleux ─ il faut tout vérifier et revérifier encore ─ et donc nous verrons bien ce que les données nous révèleront.”

“Utiliser les données de trois détecteurs très différents est un défi de tous les instants”, souligne Florian Aubin, doctorant à l’Université de Savoie-Mont Blanc en France. “Mais c’est aussi l’opportunité d’identifier la position de la source d’OGs dans le ciel et de chercher des contreparties électromagnétiques ou en neutrinos. Je suis très motivé par la campagne de prise de données actuelle. Les deux candidats impliquant des NS et les trois fusions potentielles de BBH, tous observés en moins d’un mois, sont la promesse d’une année entière remplie de découvertes intéressantes. En ce qui me concerne, c’est la récompense de deux années de travail acharné.”

Avant le démarrage de la prise de données O3, les trois instruments du réseau ─ les deux détecteurs Advanced LIGO installés à Livingston et Hanford aux Etats-Unis et le détecteur Advanced Virgo, en fonctionnement à Cascina près de Pise en Italie ─ ont bénéficié d’une intense campagne d’améliorations. Ainsi, la sensibilité d’Advanced Virgo a presque doublé par rapport au run d’observation O2 en août 2017.

 “Il a fallu 18 mois de travail acharné à partir de septembre 2017 pour améliorer la sensibilité du détecteur Advanced Virgo et le rendre moins vulnérable aux perturbations venant de l’extérieur”, résume Irene Fiori, physicienne à l’European Gravitational Observatory (EGO, le laboratoire d’accueil du détecteur Virgo) et responsable des études portant sur les bruits induits par l’environnement autour de Virgo. “C’est le résultat d’un travail collectif impliquant des experts de domaines très variés : faisceaux laser de très haute qualité, alignement de haute précision des systèmes optiques, isolation sismique, compensation d’effets thermiques, etc. Et même la production d’états compressés de la lumière !”

 En moyenne, Advanced Virgo peut maintenant observer de manière fiable la fusion d’un système BNS jusqu’à une distance d’environ 160 millions d’années-lumière, et jusqu’à environ deux milliards d’années-lumière dans le cas d’une fusion de trous noirs pesant chacun de l’ordre de 30 fois la masse du Soleil. Actuellement, Advanced Virgo est le détecteur du réseau le plus constant dans son fonctionnement : jusqu’à 90% du temps, un succès remarquable. Le reste du temps est consacré aux périodes de maintenance ─ coordonnées avec celles de LIGO pour optimiser les performances du réseau ─ tandis que des perturbations fortes induites par l’environnement interrompent parfois la prise de données. Ce très bon taux de fonctionnement reflète la précision avec laquelle Advanced Virgo est contrôlé, et la bonne stabilité des bruits instrumentaux. Cela permettra à Virgo de contribuer pleinement aux futures détections d’OGs durant cette troisième campagne d’observation.

 Irene Fiori ajoute : “Dans la salle de contrôle de Virgo, nous avons travaillé dur, partagé de longues discussions scientifiques et vécu des moments forts. Notre humeur au quotidien reflétait les progrès ou les difficultés de Virgo. Nous avons ressenti une grande joie quand, le 1er avril, nous avons inauguré le run O3 conjointement avec LIGO, avec, pour Virgo, une sensibilité presque doublée par rapport à 2017. ‘Nous avons réussi’ était sur toutes les lèvres. Et chaque nouvel événement découvert renforce cette satisfaction.”

 Le taux de fonctionnement très élevé du détecteur Advanced Virgo, combiné à son éloignement géographique des détecteurs LIGO et à son orientation différente, améliore la capacité du réseau global de localiser les sources d’OGs dans le ciel et de décrypter de manière complète ces signaux. En effet, une bonne détermination de la position de la source dans le ciel est un prérequis pour une campagne d’observation de contreparties électromagnétiques réussie, et pour la riche moisson de résultats scientifiques qui s’ensuit.

 De nombreuses détections sont attendues à mesure que les instruments Advanced LIGO et Advanced Virgo continuent leur campagne d’observations O3 qui doit durer un an : de nouvelles fusions de BBH et de systèmes contenant des étoiles à neutrons bien sûr, mais aussi peut-être de nouveaux signaux d’OGs émis par d’autres types de sources astrophysiques. À la fois les algorithmes de détection en temps réel, qui analysent une première fois les données dès qu’elles sont produites, et les analyses ultérieures, qui traitent de grandes quantités de données en utilisant l’ensemble des informations disponibles, vont continuer à chercher des OGs, de sources connues ou inconnues.

 

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Berrie Giebels
Directeur-adjoint de l'IN2P3