Retour sur les rencontres de Moriond 2022

Résultats scientifiques Physique des particules

Les rencontres de Moriond sont le point d'orgue annuel de la communauté des scientifiques de la physique des particules. Elles sont l'occasion pour les chercheuses et chercheurs du monde entier de se retrouver, de présenter leurs tout derniers travaux, et d'annoncer les résultats clés du domaine. Retour sur cinq résultats importants des expériences ATLAS et CMS autour du boson de Higgs, dont une majorité avec des contributions des équipes IN2P3 présentées en mars 2022.

Deux bosons de Higgs au bout du tunnel : recherche de la production double-Higgs en bbtautau dans CMS :

La collaboration CMS a récemment rendu publics [1] [2] les derniers résultats sur la recherche de production non-résonante de paires de bosons de Higgs dans le canal HH$\rightarrow bb\tau\tau$. L’analyse porte sur l’ensemble des données du Run 2 et de nombreuses améliorations ont été apportées depuis l’analyse des données de 2016, notamment avec l’utilisation de méthodes de “machine learning” pour l’extraction du signal, les critères de déclenchement, et une optimisation spécifique pour la production par fusion de bosons vecteurs. La limite observée, actuellement la meilleure au LHC pour un canal unique, correspond à 3,3 fois la prédiction du modèle standard, c’est-à-dire que ce signal aurait pu être observé si sa production était 3,3 fois plus abondante que prévue. La sensibilité atteinte est donc remarquable et meilleure qu’envisagée : ceci est de très bonne augure pour l’observation de la production HH avec plus de données grâce au Run 3 puis à HL-LHC. Cette observation est un préalable à la détermination de l’autocouplage du boson de Higgs.

[1] https://cds.cern.ch/record/2803419?ln=en
[2] https://llr.in2p3.fr/vers-la-mesure-de-l-auto-couplage-du-boson-de-higgs?lang=fr

Une mesure remarquablement précise de la largeur du boson de Higgs par CMS :

Le boson de Higgs possède un grand nombre de canaux de désintégrations et son existence est très éphémère. Son temps de vie moyen, trop court pour être observable, se traduit par une indétermination de sa masse, une largeur intrinsèque reliée à l’ensemble de ses modes de désintégrations, visibles ou invisibles. La largeur est une propriété fondamentale prédite par le modèle standard : compte-tenu de la masse du boson de Higgs, elle vaut 4,1 MeV. La confrontation de cette prédiction avec la mesure de la largeur permet de contraindre les couplages du boson H à de nouvelles particules au-delà du modèle standard, telles que des particules massives et neutres de matière noire dans certains modèles.

Cette largeur intrinsèque à l’échelle du MeV a longtemps été réputée inaccessible au LHC, la résolution expérimentale étant moindre par trois ordres de grandeurs. Jusqu’à ce qu’il soit remarqué que la combinaison des productions sur- et hors-couche de masse dans le canal ZZ pouvait être exploitée pour obtenir une précision bien meilleure. 

La collaboration CMS a pu mettre en évidence avec les données du Run 2 du LHC cette production hors couche de masse et mesurer la largeur [1] de désintégration du boson de Higgs : ΓH = 3,2-1,7 +2,4 MeV, un résultat tout à fait remarquable, en accord avec la prédiction du modèle standard.

[1] https://llr.in2p3.fr/premiere-mesure-largeur-Higgs-LLR?lang=fr

Mesures différentielles pour la production associée du Higgs se désintégrant en quarks beaux dans ATLAS :

À la suite de résultats précédents sur le boson de Higgs produit en association avec un boson W ou Z dans sa désintégration en paires quark-antiquark de beauté [1], les équipes d'ATLAS ont réalisé les premières mesures de sections efficaces différentielles dans ce canal [2], qui permettent de mieux sonder les désintégrations H en bbbar. Ces mesures fiducielles sont plus aisément interprétables par des équipes en-dehors de la collaboration ATLAS dans le cadre de modèles de nouvelle physique au-delà du modèle standard.

[1] [https://link.springer.com/article/10.1140/epjc/s10052-020-08677-2]

[2] [https://atlas.web.cern.ch/Atlas/GROUPS/PHYSICS/CONFNOTES/ATLAS-CONF-2022-015/]

De la beauté au charme : Higgs en ccbar par CMS et ATLAS :

Alors que les canaux évoqués précédemment dans lesquels le boson de Higgs se désintègre en quarks beaux sont déjà particulièrement difficiles à identifier au LHC, les collaborations ATLAS et CMS préparent le prochain défi et travaillent activement sur la mesure des couplages du boson de Higgs avec les fermions de la seconde génération, via la recherche de la désintégration du boson de Higgs en paires quark-antiquark charmé, dont l’identification représente un défi expérimental encore plus substantiel. Les analyses exploitent la production associée 'VH' et utilisent des méthodes d'apprentissage automatique avancées pour améliorer très significativement le faible rapport signal à bruit de ce canal. La récente analyse CMS [1] place une limite supérieure observée (resp. attendue) sur la section efficace à 14 (resp. 8) fois la valeur prédite par le modèle standard, ce qui constitue une avancée majeure pour ce processus, qui reste cependant encore hors de portée. Le résultat précédent, obtenu par la collaboration ATLAS, avait placé une limite à 26 (31) fois le modèle standard [2].

[1] [https://cms-results.web.cern.ch/cms-results/public-results/preliminary-results/HIG-21-008/index.html]

[2] [https://atlas.web.cern.ch/Atlas/GROUPS/PHYSICS/PAPERS/HIGG-2021-12/]

Du boson de Higgs à la nouvelle physique avec ATLAS :

Les analyses conçues pour chercher d’hypothétiques « bosons de Higgs » de très basse masse se désintégrant en paire de photons permettent aussi d’explorer des possibilités de nouvelle physique.

C’est le cas d’un nouveau résultat [1] présenté par ATLAS à Moriond QCD, en lien avec une catégorie de modèles théoriques prédisant l’existence de particules de type axion (ou ALP, acronyme en anglais pour “axion-like particles”), qui agiraient comme médiateurs entre la matière ordinaire et la Matière Noire. Se basant sur plusieurs améliorations par rapport aux recherches précédentes de nouvelles résonances se désintégrant dans le canal en diphoton, et grâce au choix d’une signature spécifique correspondant à des résonances dites “boostés”, ce nouveau résultat a permis d’étendre le domaine de recherche jusqu’à des masses aussi faibles que 10 GeV, une région qui était restée jusqu’à présent très peu explorée.  

Aucun signal significatif n'ayant été trouvé, une borne supérieure sur le taux de production de résonances en diphoton a été établie, pour des masses entre 10 et 70 GeV.  Cette borne, interprétée dans l'espace des paramètres d'une ALP, représente la contrainte la plus forte disponible de nos jours dans ce domaine de masse, et a permis de combler le fossé entre les recherches d’ALPs provenant de la physique du méson B (allant jusqu’à 5 GeV) et celles au LHC (à partir de 65 GeV).

[1] https://atlas.web.cern.ch/Atlas/GROUPS/PHYSICS/CONFNOTES/ATLAS-CONF-2022-018/

En savoir plus

- Site web des rencontres de Moriond

- ATLAS latest updates (site de la collaboration, en anglais)

- CMS latest news (site de la collaboration, en anglais)

Contact

Laurent Vacavant
Directeur adjoint scientifique "Particules et Hadronique" (IN2P3)
Nicolas Morange
Chercheur à IJCLab
Florian Beaudette
Chercheur au LLR
José Ocariz
Enseignant-chercheur Université Paris Cité au LPNHE
Didier Contardo
Chercheur à l'IP2I et responsable scientifique CMS à l'IN2P3
Laurent Serin
Chercheur à IJCLab et responsable scientifique ATLAS à l'IN2P3
Perrine Royole-Degieux
Chargée de communication