Paschal Coyle, physicien des abysses

Portrait

Après 10 ans enfermé sous terre auprès du détecteur ALEPH au CERN, Paschal Coyle ne résiste pas à l’appel du grand bleu. Quand en 2000 s’offre à lui l’occasion de travailler sur le télescope à neutrino sous-marin ANTARES, il n’hésite pas une seconde et se jette à l’eau. 20 ans plus tard le voilà élu porte-parole du projet KM3NeT, un télescope sous-marin géant immergé à 2500 mètres dans les profondeurs de la Méditerranée sur deux sites, au large de Toulon et de la Sicile. Il prendra ses fonctions en février 2021.

Loin des embruns de la mer Méditerranée, Paschal Coyle fait ses premières armes en physique des particules à 100 mètres sous terre dans la caverne du détecteur ALEPH installé sur le LEP au CERN. Là, il part à la recherche du Boson de Higgs et passe aussi une grande partie de ces années sur le développement des détecteurs de vertex d’ALEPH. Certes, le boson de Higgs sera découvert bien plus tard, mais avec son équipe il fait tout de même les premières observations du méson Bs. A la fois pour ses recherches en physique du quark beau et pour le développement du nouveau détecteur de vertex de LEP2, le CNRS le récompense de la médaille de bronze en 1994. En 2000, cette période faste doit cependant s’arrêter. Le LEP laisse la place à son successeur, le LHC. Paschal Coyle est alors face à un dilemme : attendre la construction du LHC qui prendra bien 6 ans, où changer de spécialité. Sa décision est vite prise : la physique des astroparticules est une science nouvelle, intéressante et le CPPM, son laboratoire d’attache, développe justement une nouvelle technique en eaux profondes qui repose sur l’imagerie Tcherenkov.

Retour aux sources

L’effet Tcherenkov, Paschal Coyle le connaît très bien. Il en a fait sa thèse à Manchester avec les premières imageries annulaires (RICH) mais aussi son post-doctorat à UC Santa Cruz sur l’expérience SLD. C’est donc tout naturellement qu’il jette l’ancre au sein du projet ANTARES, télescope sous-marin à neutrinos qui doit être immergé par 2500 m de fond au large de Toulon. Le chercheur travaille à la construction du télescope et de 2008 à 2014 il assume la responsabilité de porte- parole.

 A n’en pas douter le chercheur s’est pris au jeu et il n’est pas étonnant de le retrouver quelques années plus tard pleinement investi dans le projet KM3NeT. Cette collaboration internationale s’attèle à la construction d’un télescope à neutrinos sous-marin pour étudier l’origine des neutrinos cosmiques de haute énergie et leurs propriétés fondamentales. C’est notamment Paschal Coyle qui propose la mise en place d’ORCA, le site français du télescope, configuré pour mesurer la hiérarchie de masse des neutrinos, une des grandes questions de physique qu’il reste à résoudre. Rapidement il en devient le coordinateur des analyses physiques, mais aussi le porte-parole adjoint.

Au moment d’être élu porte-parole de KM3NeT, Paschal Coyle a donc déjà un pied dans l’univers du poste. « Etre nommé porte-parole de la collaboration est un grand honneur. J'ai hâte de relever les défis à venir et découvrir la science passionnante que KM3NeT révélera. » En tant que représentant d’une collaboration internationale, les attendus sont multiples : prendre des décisions scientifiques, chercher des financements, diffuser la culture scientifique etc. Cela nécessite de jongler avec de nombreux paramètres. « Le site toulonnais de KM3NeT possède une grande expertise marine locale avec l’Ifremer, les bateaux, les sous-marins. C’est l’une des choses les plus importantes finalement dans le choix d’un site » poursuit Paschal Coyle. Les équipes de physiciens sont en effet accompagnées par un équipage d’une cinquantaine de personnes, et la profondeur d’installation du télescope dans une fosse abyssale requiert l’utilisation de sous-marins.

« Ce qui est aussi passionnant dans ces projets de télescopes sous-marins, c’est qu’ils nous donnent l’opportunité d’interagir avec de nombreuses autres disciplines, qui n’ont rien à voir avec les neutrinos » se félicite le scientifique. Sur site, ont été installés un sismomètre, des hydrophones pour étudier la présence des baleines et dauphins. Bientôt Il y aura également un robot benthique avec des caméras de haute sensibilité pour explorer l’abysse. « C’est un grand observatoire marin qui nous a même valu d’obtenir le prix « La Recherche » pour la découverte de l’origine d’une activité bioluminescente au printemps aux abords d’ANTARES » souligne le chercheur. Pour accueillir toutes ces disciplines une structure a d’ailleurs été créée, hébergée par le CPPM et dirigée par Paschal Coyle : le Laboratoire Sous-marin Provence Méditerranée (LSPM). Cette structure interdisciplinaire ouvre aussi la porte à une composante importante de la recherche aux yeux de Paschal Coyle : les sciences citoyennes ou participatives. Par exemple, le programme Deep Sea Hunters, permet aux citoyens d’étudier les signaux de bioluminescence et de bioacoustique.

Photographie prise lors de l'installation d'une boîte de jonction (au centre de l'image) en mer
Déploiement de la boite de jonction durant la campagne de fin octobre. © Paschal Coyle, CPPM

Passeur de sciences

En attendant, le déploiement du télescope suit son cours. La dernière campagne en mer de Paschal Coyle a eu lieu fin octobre et elle a été l’occasion d’immerger une nouvelle boîte de jonction pour brancher les lignes de photomultiplicateurs. Bientôt, 7 lignes seront ajoutées ce qui portera à 13 le nombre de lignes opérationnelles pour ORCA. « Même si le télescope n’est pas encore complet, nous pouvons déjà engranger des données et vérifier que le tout fonctionne correctement » se réjouit le physicien. Sur les réseaux sociaux, il raconte au jour le jour son déploiement, photographies à l’appui. En tant que coordinateur de l’information autour de KM3NeT, c’est une action de partage qui le fait vibrer. « Nous avons un devoir envers le grand public, de l’informer sur ce que nous faisons et pourquoi nous sommes aussi enthousiastes de le faire. » Le chercheur fourmille de projets de vulgarisation. Il a récemment participé à l’organisation du concours « Draw me a neutrino » qui a connu un grand succès avec plus de 500 dessins. Il est actuellement exposé dans un musée virtuel. Il travaille aussi sur une application pour smartphone et tablette qui permettra de visualiser les évènements et expliquer le projet KM3NeT. À la croisée de ses multiples postes de responsable projet, de responsable de diffusion de l’information scientifique et de directeur d’une plateforme interdisciplinaire, Paschal Coyle mènera sans aucun doute KM3NeT à bon port.

Contact

Paschal Coyle
Porte-parole de la collaboration KM3NeT et directeur du LSPM
Berrie Giebels
Directeur-adjoint de l'IN2P3