L'expérience ALICE dotée d’un nouveau trajectographe à muons de haute précision

Résultats scientifiques Physique hadronique

L’expérience ALICE au CERN dispose désormais d’un nouveau trajectographe à muons. Installé au cœur de l’immense instrument à 40 centimètres du point de collision des faisceaux du LHC, il effectuera des mesures de la trajectoire des muons avec une précision inégalée. De quoi collecter des données totalement inédites sur l’état de la matière au tout début de l’Univers. Un travail qui a mobilisé trois laboratoires IN2P3.

Début décembre dernier, un petit moment de suspens a tenu en haleine tous les membres de la collaboration du détecteur ALICE installé auprès du collisionneur LHC au CERN. Il s’agissait de glisser avec d’infinies précautions, au cœur de l’imposant instrument, un nouveau capteur, le Muon Forward Tracker ou MFT. L’instrument, constituté de deux longs morceaux symétriques, devait être glissé et ajusté au dixième de millimètre près dans un volume qu’il remplit en totalité, et au centre duquel passe le long tube de 27 km de long du LHC où circulent les faisceaux. Il était bien sûr hors de question d’abîmer quoi que ce soit et mille précautions avaient été prises. « La procédure a été préparée longtemps en amont par des ingénieurs et répétée avec une maquette plusieurs fois pour en valider tous les aspects », explique Sarah Porteboeuf-Houssais, « Data coordinator » pour le MFT et enseignante-chercheuse au LPC Clermont, actuellement basée au CERN. « Il a même fallu concevoir des pièces de manutention dédiées à cette seule manipulation. »

L’équipe MFT au CERN après l’installation du trajectographe (disque vert au fond du tunnel) au cœur du détecteur ALICE en décembre. © 2020-2021 CERN

Le MFT a finalement trouvé sa place sans encombres. L’équipe MFT l’a branché à ses différents circuits d’alimentation électrique, de refroidissement à eau et de communication, et les tests menés tout au long du mois de janvier ont confirmé son bon état de marche. Il pourra dans les mois qui suivent être intégré à l’ensemble des systèmes de l’expérience ALICE et apporter au redémarrage du LHC en avril 2022 une moisson de données inédites pour la collaboration.

La partie basse du détecteur juste avant son insertion dans le cœur d’ALICE. Le tube à vide de circulation des faisceaux du LHC, à ne surtout pas endommager court au centre du cylindre. © 2020-2021 CERN

Distinguer les quarks charme des quarks bottom

Le MFT va agir comme une paire de lunettes donnant la faculté aux expérimentateurs et expérimentatrices de distinguer dans les collisions plomb/proton les décroissances des particules composées de quarks charmés provenant directement du point d’interaction de celles issus de la décroissance de particules contenant des quarks beaux. Un pouvoir de discrimination capital pour espérer récolter des informations inédites sur le plasma de quarks et gluons, cet état très particulier de la matière rencontré aux premiers instants de l’Univers et étudié avec le détecteur ALICE. « Il faut comprendre que la discrimination entre l’une ou l’autre de ces particules se joue à un écart de 50 micromètres. C’est-à-dire la distance parcourue en plus par les particules "belles" avant de décroitre suivant une cascade conduisant à la production de muons » précise Sarah Porteboeuf-Houssais. Dans ALICE, c’est le spectromètre à muons qui détecte les muons et leurs trajectoires (voir figure ci-dessous), mais il est protégé par un écran, l’absorbeur, chargé de bloquer les autres particules parasites. « Cette protection anti bruit de fond induit malheureusement une très légère distorsion des trajectoires des muons, ce qui empêche d’en connaître le point d’origine exact,» ajoute la chercheuse. « Le MFT quant à lui, positionné juste entre la zone de collision des ions et l’absorbeur, n’aura plus ce handicap et le point d’origine sera déterminé à 5 micromètres près. » 

Le capteur MFT, situé au cœur de l’immense expérience ALICE, est représenté au N°9, collé à l’absorbeur en gris et à 40 cm du point d’impact (N°6). Lorsque des muons sont produits dans les collisions d’ions lourds au LHC, ils sont éjectés vers l’avant (de la gauche vers la droite), traversent le MFT, puis l’absorbeur avant de transpercer de part en part le spectromètre à muons noté 8 et 10 sur l’image. L’ensemble de ce dispositif permettra de remonter à 5 μm près au point d’origine des muons. ©ALICE

Dix ans de développement et de réalisation

Ce nouvel instrument a demandé près de 10 ans de préparation entre les études et l’installation. Après la réalisation du détecteur interne ITS, également portée par l’IN2P3, le MFT marque une avancée spectaculaire dans les détecteurs électroniques de type (CMOS) MAPS en physique des hautes énergies. À l’initiative du MFT au sein de la collaboration ALICE, l’IN2P3 a mobilisé trois de ses laboratoires l’IP2I à Lyon, le LPC à Clermont-Ferrand et Subatech à Nantes, pour réaliser une importante partie de ses éléments. Des dizaines de scientifiques et technicien·nes de 14 institutions à travers le monde ont participé à ce projet dont l’IN2P3 et l’Irfu au CEA.

 
Le MFT est un cône d’environ 60 cm de diamètre et de 40 cm de long. Il est constitué de 5 disques sur lesquels sont disposés des capteurs à pixels en silicium. Chaque plan de détection enregistre la position X Y du point de passage du muon. La trajectoire précise du muon est reconstituée en reliant ces 5 points. © CERN

Pour en savoir plus

Contact

Laurent Vacavant
Directeur adjoint scientifique "Particules et Hadronique" (IN2P3)
Perrine Royole-Degieux
Chargée de communication