La collaboration EPTA cherche dans le signal cadencé des pulsars les traces de l'influence d'ondes gravitationnelles qui seraient émises par des couples de trous noirs super-massifs.
La collaboration EPTA cherche dans le signal cadencé des pulsars les traces de l'influence d'ondes gravitationnelles qui seraient émises par des couples de trous noirs super-massifs.Image : Danielle Futselaar,MPIfR

Les pulsars ouvrent une nouvelle fenêtre pour l’observation des ondes gravitationnelles

Résultats scientifiques Astroparticules et cosmologie

Plusieurs collaborations scientifiques PTA (Pulsar Timing Array) à travers le monde, dont la collaboration européenne EPTA, à laquelle des chercheurs du laboratoire APC participent, ont uni leurs forces pour annoncer la découverte d'une nouvelle catégorie d'ondes gravitationnelles à très basse fréquence. Ces oscillations de basse fréquence de l'espace-temps seraient causées par des paires de trous noirs supermassifs, mais pourraient également provenir de divers processus énergétiques dans l'Univers primitif. Stanislav Babak, directeur de recherche à l'APC, membre de la collaboration EPTA et actuel président du comité de pilotage de l'IPTA (International Pulsar Timing Array), nous éclaire sur cette annonce.

Pourquoi cette découverte est-elle une avancée scientifique d'importance ?

Comme d'autres collaborations PTA1 , nous observons de sérieux indices de l'existence du signal d'ondes gravitationnelles dans la bande de fréquence des nano-Hz. Nous n'affirmons pas encore qu'il s'agit d'une détection. Nous devons encore effectuer des analyses supplémentaires sur les données combinées de toutes les collaborations PTA, pour obtenir un résultat indiscutable. Si cette découverte est confirmée, elle ouvrira une nouvelle fenêtre de fréquence (ultra-basse fréquence entre 1 et 100 nano-Hz) dans l'astronomie des ondes gravitationnelles. Lorsque  Karl Jansky a ouvert l'ère de la radioastronomie dans les années 1930, de nombreuses découvertes sont venues enrichir notre compréhension de l'Univers dans lequel nous vivons. C'est ce qui est sur le point de se produire avec cette nouvelle découverte.

Quels types d'événements cosmiques pourront être étudiés avec cette nouvelle fenêtre ?

Il existe plusieurs sources d'ondes gravitationnelles dans cette bande de fréquences ultra-basses. Les plus prometteuses sont les binaires de trous noirs supermassifs, dont la masse est comprise entre des millions et des milliards de masses solaires. L'ensemble de la population de ces paires de trous noirs supermassifs en orbite l'un autour de l'autre doit produire un signal stochastique d'ondes gravitationnelles qui devrait être perceptible. Nous pourrions également voir le signal de binaires individuelles si elles sont relativement proches. Il existe d'autres sources possibles de signaux d'ondes gravitationnelles dans cette bande, en particulier des ondes gravitationnelles provenant de divers processus énergétiques de l'Univers primitif. Néanmoins, l'interprétation exacte de la source de ces ondes gravitationnelles pourrait s'avérer très difficile aujourd'hui.

Les scientifiques de l'APC ont envisagé des origines surprenantes pour ces ondes gravitationnelles. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Mikel Falxa (ancien doctorant à l'APC, actuellement postdoc au CNRS à Orléans) a étudié le cas des binaires proches et a établi dans l'un des articles de l'ETPA que ce signal pourrait provenir d'un trou noir binaire dans l'amas de Fornax. Il pourrait également s'agir d'un signal stochastique d'ondes gravitationnelles. Hippolyte Quelquejay, doctorant à l'APC, dirige l'analyse dans cette direction. Dans ce cas, nous avons trois alternatives au scénario des binaires de trous noirs supermassifs : le signal pourrait être généré par un réseau de cordes cosmiques ; il pourrait aussi provenir de l'Univers primitif lorsque les protons et les neutrons ont émergé du plasma primordial ; ou il pourrait s'agir d'ondes gravitationnelles primordiales générées lors de l'inflation initiale de l'Univers. Tous ces scénarios pourraient potentiellement produire un signal perceptible. C'est le sujet des quatrième et cinquième articles préparés par la collaboration EPTA.

Dites nous en un peu plus sur la technique de détection utilisée

Depuis plusieurs décennies, les radiotélescopes du monde entier surveillent les pulsars millisecondes ultra-stables. Ce sont des étoiles à neutrons très anciennes qui émettent un faisceau étroit de lumière radio à partir de leur pôle magnétique. Lorsque le faisceau traverse le radiotélescope, il est perçu comme une "impulsion", semblable au signal du phare. D'où le nom de "pulsars". Nous nous intéressons aux pulsars dont la rotation est extrêmement stable et dont les impulsions arrivent à des intervalles très réguliers. Plus précisément, nous observons les très légères variations qui modifient l'intervalle entre les impulsions, en raison de certains effets qui impactent le temps d'arrivée des impulsions. Les ondes gravitationnelles induisent également de telles déviations, mais d'une manière très spécifique. Grâce à des observations au long cours des pulsars radio et à des techniques sophistiquées d'analyse des données, nous essayons de distinguer l'effet des ondes gravitationnelles. En particulier, les ondes gravitationnelles induisent un signal corrélé dans les données de chaque pulsar, mais ce signal est faible et difficile à distinguer du bruit. En somme, nous mesurons les ondes gravitationnelles par leur interaction avec les signaux électromagnétiques lorsqu'ils se propagent des pulsars vers la Terre, comme nous le faisons avec les détecteurs interférométriques Virgo et LIGO, mais là, nous utilisons des lasers et des miroirs.

Quelle est la prochaine étape pour la collaboration ?

La prochaine étape consistera à combiner nos données (EPTA+InPTA2 ) avec des données similaires provenant de NanoGrav (collaboration nord-américaine), PPTA (collaboration australienne) et à les compléter avec les données MeerCat et MeerTime (précurseurs du Square Killometer Array). Il s'agira des données les plus sensibles à ce jour et elles sont déjà partiellement prêtes. Elles seront analysées conjointement par tous les PTA sous l'égide de l'IPTA (International PTA).  Il est très probable que l'analyse de ces données confirme la détection des ondes gravitationnelles. Si ce n'est pas le cas, nous aurons besoin d'observations plus longues. 65% des données EPTA proviennent du radiotélescope de Nancay. Nous disposons de très bons récepteurs et continuons à surveiller les pulsars. Dans un avenir proche : FAST - radiotélescope chinois (déjà en service), et SKA (Square Killometer Array) fourniront des données de très haute qualité, qui amélioreront la sensibilité de l'EPTA d'au moins un ordre de grandeur.

Es-ce que cette technique est amenée à remplacer les interféromètres terrestres ?

Non, LIGO, Virgo et KAGRA observent entre 10 et 2000 Hz (hautes fréquences), la future mission spatiale LISA (lancement en 2035) fonctionnera de 0,1 à 100 milli Hz (basses fréquences). PTA est complémentaire, il observe entre 1 nano Hz et 100 nano Hz (ultra-basses fréquences). Ces projets sont complémentaires les uns des autres.

  • 1NanoGrav, PPTA, CPTA
  • 2Indian Pulsar Timing Array
Principe de la détection des ondes gravitationnelles à l'aide des pulsars
Image : Danielle Futselaar

À propos d'EPTA

EPTA est une collaboration de scientifiques de onze institutions européennes, réunissant des astronomes et des physiciens théoriciens pour utiliser les observations d'impulsions ultra-régulières provenant des restes d'étoiles, connues sous le nom de pulsars, afin de construire un détecteur d'ondes gravitationnelles de la taille d'une galaxie. InPTA réunit également des scientifiques de plusieurs instituts indiens et japonais au sein d'un même consortium.

L’IN2P3 est présent dans le projet EPTA à travers le laboratoire APC qui, avec le DPHP/CEA, assure l'expertise en matière d'analyse statistique et d'interprétation du signal gravitationnel. Le projet a également nécessité l’utilisation intensive du centre de calcul CC-IN2P3 pour l'exécution de l'analyse gravitationnelle (avec par exemple 2,9 millions d'heures de calcul CPU depuis 2021).

Contact

Stanislav Babak
Chercheur CNRS au laboratoire APC et membre projet EPTA
Vincent Poireau
DAS Astroparticules et cosmologie
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3