Les novae sont des explosions intervenant dans des couples d'étoiles. A l'aide d'installations de physique nucléaire, les scientifiques parviennent à reproduire certaines des réactions qui s'y produisent. Crédit : David A. Hardy & PPARC

Le GANIL sur la piste du Sodium 22 pour mieux comprendre les novae

Résultats scientifiques Physique nucléaire

A l'aide d'un montage expérimental innovant, une équipe de physiciens nucléaires du GANIL a pu scruter avec une précision inédite le processus de disparition du Na 22, un isotope radioactif du sodium. Cet isotope, que les scientifiques espèrent détecter dans la déflagration des novæ, pourrait jouer un rôle clé dans la validation des théories expliquant le déroulement de ces colossales détonations.

A Caen, dans le Grand accélérateur national d’ions lourds (GANIL) s’est produit un évènement qui n’arrive que quelques dizaines de fois par an dans notre Galaxie. Au cœur de cette installation à la pointe de la recherche en physique nucléaire, une équipe de scientifiques a reproduit à des échelles microscopiques une étape de l’un des évènements les plus violents du Cosmos : les novae.

Un phénomène explosif très rare dans notre Univers proche

Comme les supernovae, les novae sont des explosions d’étoiles et font partie, à ce titre, des évènements les plus violents de l’Univers. Cependant contrairement aux premières qui explosent complètement lors d’un effondrement gravitationel, les novae n’explosent que superficiellement. En effet, seule leur surface détone et elles nous apparaissent dans le ciel comme une nouvelle étoile, d’où l’origine de leur nom « nova ». L’explication, qui fait consensus aujourd’hui, met en jeu un processus d’échange de matière au sein de couples d’étoiles.  L’un des deux astres accumulerait progressivement une couche superficielle de plus en plus importante à mesure qu’il piégerait la matière de son compagnon. Passé une certaine masse critique, la pression deviendrait si forte qu’elle finirait par déclencher des réactions de fusion nucléaire et s’embraser en une gigantesque explosion thermonucléaire. Mais à quel point ce modèle est-il valide ?

Vue d'artiste d'une Nova
Vue d'artiste d'une nova. Selon les modèles, ce phénomène se produit dans des couples d'étoiles. L'une des deux arrachant de la matière à son compagnon, jusqu'à l'explosion. Le phénomène engendrerait alors de nombreuses réactions nucléaires qu'il est possible de reconstituer et d'étudier en laboratoire. Crédit image : Michel Deconinck

Faute de pouvoir filmer l’événement en détails, tant il est lointain et rare, tels des inspecteurs, les scientifiques vont s’intéresser aux débris de l’explosion. Et c’est là que la physique nucléaire entre dans la danse. Durant le cataclysme, de nombreuses réactions nucléaires se produisent, donnant naissance à des kyrielles de nouveaux noyaux, qui sont autant de signatures des conditions qui ont régné dans la nova. Selon le modèle actuel, certaines de ces traces atomiques devraient être abondamment produites, tandis que d'autres pourraient être absentes. L'analyse de ces signatures est donc un bon moyen de tester la solidité du scénario proposé par les physiciens. En somme, l'étude des noyaux formés lors de ces explosions pourrait confirmer ou remettre en question notre compréhension actuelle des novae.

Le sodium 22 pour sonder les mécanismes nucléaires des novae

L’une des traces explorées par les physiciens, pour mener cette enquête, est le sodium 22 (22Na), un isotope radioactif du sodium. Sa radioactivité s’accompagne d’un rayonnement gamma très caractéristique qui a l’avantage d’être facilement discernable par certains télescopes spatiaux. En somme, la formation et la disparition du sodium 22 sera scrutée avec une attention toute particulière le jour où une nova explosera dans notre zone galactique, mais d’ici là, il est nécessaire de décrire avec précision en laboratoire les mécanismes de sa formation, pour faire le lien entre l’intensité observée et les mécanismes nucléaires à l’oeuvre. C’est à ce travail que s’est attelée l’équipe du GANIL.

Plus précisément, les chercheurs se sont intéressés au magnésium 23, un élément qui se forme lorsque le sodium 22 absorbe un proton. Au cours de cette transition, le magnésium 23 adopte un état excité qui peut alors évoluer dans deux directions. Soit il se désexcite par la perte d’un proton et reforme du 22 Na, soit il le fait en émettant un rayon gamma sans possibilité de redonner naissance à du 22 Na. La durée de vie de l’état excité du 23 Mg permet donc d’avoir accès à la vitesse de la disparition du 22 Na dans la nova.

Détecteur AGATA
Le détecteur AGATA, utilisé lors de l'expérience, capte le rayonnement gamma émis par les noyaux de 23Mg lors de leur transition de l'état excité vers un état stable. L'analyse fine des traces laissées dans les cristaux de germanium du détecteur permettent de remonter aux caractéristiques fondamentales du noyau émetteur. Crédit image : Emmanuel Clément GANIL

À la manière de ce qui se produit dans les novae, les physiciens ont bombardé une cible d’hélium 3 (3He) avec un faisceau de noyaux de magnésium 24 (24 Mg) pour produire de l’hélium 4 et du 23Mg excité dont ils ont guetté la désexcitation. Cette dernière se traduit par l’émission de rayons gamma ou de protons à des angles et énergies bien connus. Les physiciens ont utilisé l’instrument AGATA afin d’étudier les émissions gamma et le spectromètre magnétique VAMOS++ pour suivre les particules d’hélium 4. Ils ont pu ainsi remonter jusqu’à une estimation très précise de la durée de l’état excité du Mg 23, et donc de sa capacité à consommer le 22Na.

Par sa qualité, cette mesure valide sans ambiguïté les précédentes études réalisées par d'autres équipes, et confirme l'écart trouvé avec les prédictions des modèles. Mais les scientifiques sont allés plus loin encore. Ils ont également démontré que cette tension entre expérience et modèle n'était sans doute qu'un artefact dû à l'imprécision des modèles pour ces réactions. Ce doute maintenant levé, il ne reste plus qu'à attendre qu'une nova vienne s'embraser dans la proche banlieue de notre système solaire. L'événement n'a qu'une faible probabilité de se produire, mais les physiciens seront prêts. Ils pourront alors compter sur le télescope spatial en cours de construction, COSI, et peut-être un jour sur ASTROGAM, qui seront équipés pour détecter ce fameux signal du sodium 22.

Aire de détection des futurs détecteurs
Les rayons de détection des futurs télescopes spatiaux ASTROGAM et COSI seront beaucoup plus étendus que leurs prédécesseurs. Avec un peu de chance, une nova se produira suffisamment proche de la Terre pour être observée par ces instruments. Ce sera alors l'occasion pour les physiciens de tester leurs modèles en observant l'évolution du sodium 22.

 

Contact

François de Oliveira Santos
Chercheur au GANIL
Chloé Fougères
Doctorante en physique nucléaire au GANIL
Marcella Grasso
Directrice adjointe scientifique "Physique nucléaire et applications" (IN2P3)
Fabien Houy
Chargé de communication à l'IN2P3