La stabilité inattendue du sodium-31

Résultats scientifiques Physique nucléaire

Une analyse par spectrométrie de masse de haute précision des isotopes 31 et 33 du sodium, réalisée dans le cadre de l’IRL NPAT (CNRS - laboratoire TRIUMF au Canada), montre que les noyaux dotés de 20 neutrons semblent plus stables que prévu. Un résultat inattendu qui appelle à de plus amples investigations sur les noyaux extrêmes, tels que l'oxygène-28, caractérisés par un fort déséquilibre entre leur nombre de protons et de neutrons

Cinquante ans après la première spectrométrie de masse d’isotopes radioactifs de l’histoire, conduite au CERN par une équipe du CNRS à Orsay en 1975, les scientifiques du tout jeune laboratoire international NPAT, une collaboration entre CNRS et le laboratoire canadien TRIUMF*, ont réitéré l’exercice en utilisant les instruments de pointe de l'installation ISAC de TRIUMF. Leur objectif ? Étudier dans le détail l’énergie de liaison du noyau de sodium-31, qui contribue à sa stabilité. De fait, cet isotope du sodium est tiraillé entre deux effets contradictoires. D’un côté, sa composition très déséquilibrée en protons et neutrons, 11 et 20 respectivement, le pousse à se désintégrer très rapidement. De l’autre son nombre de neutrons le fait figurer parmi les noyaux dits « magiques », dont la stabilité est renforcée car leur nombre de neutrons remplit totalement les orbitales quantiques du noyau, à l’instar des gaz nobles qui, remplissant entièrement leurs orbitales d’électrons, sont très stables chimiquement. 

Théoriquement ils s’attendaient à trouver un « effet de couche » quasi inopérant dans un noyau à ce point déséquilibré par l’écart protons/neutrons. C’est en tout cas ce que laissait suggérer les mesures de stabilité effectuées précédemment sur des noyaux voisins plus stables du sodium-31, doté eux aussi de 20 neutrons, mais avec - plus de protons. Il ressortait de ces mesures que l’effet de couche s’effondrait dès le magnésium-32, un noyau doté de 12 protons et de 20 neutrons et voisin direct du sodium 31. Tout prêtait donc à penser que les noyaux plus déséquilibrés que le magnésium-32, comme le sodium-31, perdraient eux aussi le bénéfice de l’effet de couche. Pourtant, de manière surprenante, l’équipe a constaté que l’effet de couche semble au contraire se renforcer dans le sodium 31 comparé à ce qui est constaté dans le magnésium 32.

Le principe du modèle en couches du noyau, qui permet de faire les prédictions de stabilité, semble donc toucher dans ce cas à ses limites. En revanche, un autre type de modélisation nucléaire, dite « ab initio », qui prend en compte une interaction réaliste entre tous les nucléons pour décrire le comportement du noyau, respecte bien cette conservation de l’effet de couche. Les calculs réalisés par des théoriciens français, canadiens et japonais sur la base de cette modélisation prédisent même que cet effet devrait augmenter jusqu’au noyau d’oxygène-28 dans lequel l’écart protons/neutrons est encore plus béant : 8 protons pour 20 neutrons. Un noyau également connu comme étant « non lié », en ce sens qu’il ne parvient pas à garder ses nucléons les plus externes liés au cœur du noyau. « Même si les prédictions de gain en énergie diffèrent légèrement, il est intéressant de constater qu’un noyau non lié puisse conserver une trace d’un effet de couche » s’interroge David Lunney, co-signataire de cette étude et directeur de l’IRL NPAT.

Seules de plus amples investigations expérimentales seront en mesure de confirmer cette extrapolation et, couplées à l’analyse théorique, de comprendre ce comportement. Elles pourront notamment s’appuyer sur des partenariats fructueux avec l’Amérique du nord en matière de physique nucléaire, tels que l’IRL NPAT, dont il est question ici, mais aussi l’IRL NPA unissant le CNRS au laboratoire FRIB de l’Université d’Etat du Michigan.

Consulter l’étude publiée dans la revue Physics Review Letter. 

 

*Avec la contribution de l’Université de Giessen, Edimbourg, Notre Dame et GSI. 

Contact

David Lunney
Co-directeur de l'IRL NPAT
Thomas Hortala
Chargé de communication
Marcella Grasso
Directrice adjointe scientifique "Nucléaire et hadronique"