Interview de Jacques Marteau, médaillé de l'innovation "Quand les planètes se sont alignées au niveau de l'équipe, c'est là que c'est allé très vite."

Distinctions Entretien R&D instrumentation

Jacques Marteau, enseignant chercheur et directeur adjoint de l'IP2I, est à l'origine de Muodim, une startup créée en 2021 pour commercialiser des offres d'imagerie de grandes structures par la technique de la muographie. Une initiative qui a valu au chercheur-entrepreneur de recevoir des mains de la Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Sylvie Retailleau, le 16 juin dernier, la médaille de l'innovation du CNRS. Nous lui avons posé quelques questions sur son projet.

Cette médaille de l'innovation a dû être une belle surprise ?

J'avoue être un peu tombé des nues quand j'ai reçu l'appel d'Antoine Petit. J'étais à des années lumières de cette médaille et plutôt concentré sur notre candidature au concours Ilab de la BPI (NDLR : Banque publique d'investissement). C'est donc une belle surprise en effet, mais je prends cette médaille comme la récompense d'un travail collaboratif avant tout, et je l'accepte au nom de tous les collaborateurs. Je n'aurais personnellement pas postulé pour une récompense individuelle.

Comment a germé l'idée de créer cette activité autour des détecteurs de muons ?

Tout a commencé en 2007 avec la visite de géophysiciens au laboratoire, l'IPNL à l'époque. Ils cherchaient une technologie adaptée pour réaliser de l'imagerie interne de volcan par muographie, comme le faisaient les japonais à l'époque. Il se trouvait que nous avions une chaîne électronique de détection développée pour une expérience installée au Gran Sasso en Italie et dédiée à l'étude des neutrinos. Cette technologie pouvait parfaitement s'adapter au tracking des muons. Restait à savoir s'il était possible de la monter sur un détecteur capable de fonctionner sur les pentes d'un volcan, exposé à la pluie, aux gaz ou encore aux cyclones et sans infrastructure à proximité. En gros, un détecteur que l'on pose sur les fougères et qu'on laisse travailler seul.

Visiblement l'adaptation du détecteur a été un succès

Oui, le premier test, mené sur la Soufrière, a bien fonctionné. Et il va donner lieu à une série d'autres muographies de volcans dans les années qui suivent. C'est à partir de 2015 que des entreprises se sont intéressées à notre technologie. Des industriels comme ArcelorMittal ou Orano, pour radiographier leurs grandes infrastructures, ou la Société du Grand Paris pour des problématiques de génie civil. Nous avons donc réalisé une série de missions avec eux et c'est à partir de là que nous avons commencé à étudier comment cette activité pourrait générer des ressources pour le laboratoire et les établissements de recherche.

Quelles ont été les étapes de la création d'entreprise ?

Nous avons commencé par nous renseigner auprès des organismes de valorisation du CNRS et de l’Université Lyon-1 qui nous ont fait comprendre qu'il n'y avait pas d'autre choix que de créer une startup. J'ai donc commencé à constituer une équipe et monter petit à petit le projet en bénéficiant du soutien de la SATT PULSALYS, des services de la DR et des encouragements de mon labo et de l’IN2P3. Je souhaitais notamment garder un rôle de consultant et il me fallait trouver un dirigeant qui soit sur la même longueur d'onde que nous. Cela m'a pris 3 à 4 ans d'essais infructueux avant de finalement rencontrer Christophe Pichol-Thievend l'actuel CEO, avec qui Muodim a réellement pris son essor depuis l’été 2001. Nous avons rapidement déposé les statuts de l'entreprise, embauché un premier jeune docteur qui avait fait un post-doctorat à l’IP2I et signé nos premiers contrats.

 

Equipe Muodim
Jacques Marteau, au centre, entouré de ses collaborateurs et collaboratrices au sein de Muodim. ©Frédérique PLAS/CNRS Photothèque

 

Quels facteurs ont été les plus déterminants ?

C'est avant tout une suite de hasards et de rencontres qui a fait émerger le projet. Mais le point vraiment important, c'est le facteur humain. Quand les planètes se sont alignées au niveau de l'équipe, c'est là que c'est allé très vite. C'est là qu'il y a les compétences et le savoir-faire. C'est dans cette dynamique d'ensemble qu'il faut clairement investir. Il ne faut pas hésiter aussi à se tourner vers les structures de valorisation et de transfert de technologie. Elles sont de plus en plus professionnelles et sont de très bon conseil notamment en matière de protection intellectuelle et de contractualisation. Par contre, il faut aller les voir quand on a fait le tri dans ses motivations et que l'on est prêt à investir son temps dans le projet. On doit sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier afin de convaincre et de rendre le projet accessible pour motiver les gens à le valoriser.

Auriez-vous des conseils à donner aux scientifiques tentés de suivre la même voie ?

Comme pour un projet ANR, il faut faire très attention à l'équipe de départ. Notamment quelles sont les motivations entrepreneuriales de chacun : certains souhaitent faire des profits rapides, se marier avec un fond d'investissement qui va prendre le contrôle du projet et en faire ce qu'il veut. D'autres, et c'est notre cas, vont préférer garder le contrôle du capital et rester maîtres du développement de leur entreprise. Cette entente unanime et solide sur les objectifs est vraiment très importante. Sinon, à mon avis, il ne faut pas hésiter à sauter le pas, certes il y a des embûches, mais c'est l'occasion de découvrir une autre façon de fonctionner. Par exemple, ça n'est pas parce que l'on sait calculer que l'on sait faire un business plan, mais on s’enrichit en apprenant à la faire.

Combien êtes-vous dans Muodim aujourd'hui ?

En septembre, nous serons 7, avec le CEO, moi-même comme expert, 2 ingénieurs de recherche en mécanique et informatique, un ancien étudiant en thèse qui s'occupe de l'analyse de données et deux autres qui sont en train de nous rejoindre. C'est important pour nous d'embaucher des jeunes issus de nos formations et de valoriser les doctorats. Montrer qu'ils mènent aussi à des carrières dans le privé.

Quelles sont les prochaines étapes du projet ?

Notre stratégie pour les 2 à 3 ans à venir est de multiplier les démos pour démontrer l'apport de la technologie et « éduquer » le marché. Nous allons également identifier les marchés où la muographie apporte une réelle plus-value comparé aux autres techniques existantes. La technologie Muodim a en effet une résolution limitée due au fait qu'elle utilise une source de rayonnement naturel, mais en revanche, elle n'a pas son pareil pour imager les grandes structures opaques, du volcan au haut-fourneau, et puis elle fonctionne 24h/24, 7j/7 sans opérateur et sans intervention extérieure. Elle est donc bien adaptée aux zones dangereuses, inaccessibles ou avec des restrictions d'accès fortes. Il y a des tas de cas de ce type à étudier.

Propos recueillis par Emmanuel Jullien

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Contact

Jacques Marteau
Enseignant chercheur à l'IP2I Lyon et fondateur de Muodim
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3