La physique des hautes énergies en Afrique entre développement spectaculaire et difficultés structurelles
La conférence ACHEP (African Conferences in High Energy Physics) est la première d’une série de rencontres consacrée à la physique nucléaire et à la physique des particules organisée par les universités africaines pour structurer et rassembler la communauté scientifique grandissante en physique des hautes énergies. Elle s’est tenue du 23 au 27 octobre 2023 à Rabat et Kénitra au Maroc. Fairouz Malek, chercheuse au LPSC et co-fondatrice des conférences ACHEP nous en dit plus.
Qu’est-ce qui a été le déclencheur d’ACHEP ?
Fairouz Malek : La communauté des scientifiques d’Afrique et sa diaspora spécialistes de la physique des hautes énergies se développe de plus en plus et cette conférence, la première du genre sur le continent, va permettre de créer une synergie entre ces chercheurs et chercheuses. Elle est aussi l’occasion de développer la physique des hautes énergies dans un plus grand nombre de pays du continent. L’ambition étant au final de renforcer la présence de l’Afrique dans ces domaines et de la faire participer plus amplement aux progrès mondiaux.
Comment se portent ces disciplines sur le continent africain ?
Fairouz Malek : On peut affirmer que cette discipline se porte très bien en Afrique du sud, de mieux en mieux au Maroc et moyennement bien en Égypte. Plus précisément, l’Afrique-du-Sud engage des moyens colossaux dans ces disciplines et particulièrement en physique nucléaire avec les investissements dans le laboratoire dédié à la science des accélérateurs, IThemba Labs, près de Johannesburg. Ce pays se distingue aussi en physique nucléaire via des participations à des programmes communs avec les USA, l’Inde ou encore la Russie. L’Afrique-du-Sud est par ailleurs engagée dans de grands programmes internationaux en physique des particules comme le LHC, sur les expériences ATLAS et ALICE entre autres, ou SNOLAB, ou encore en cosmologie avec sa participation à HESS en Namibie. Le Maroc, quant à lui, est engagé depuis plus de trente ans dans les programmes du CERN, particulièrement sur l’expérience ATLAS du LHC. Sur la physique des neutrinos, le pays est engagé sur les expériences ANTARES et KM3NET. Par ailleurs, ce pays investit de plus en plus dans la physique des réacteurs nucléaires et la radioprotection, discipline qui a des retombées directes sur la physique nucléaire appliquée dans le secteur médical. Pour finir, l’Égypte est le dernier pays africain à s’être investi au CERN et sa participation est pour l’instant limitée à l’expérience CMS. Hormis ces trois états, d’autres ont investi dans la physique médicale et la recherche en physique nucléaire, mais avec des moyens trop limités pour être considérés comme marquants pour la communauté internationale ou même au niveau du continent africain d’un point de vue scientifique ou même au niveau de l’éducation ou de la formation des élites scientifiques.
Qu’est-ce qui entrave le développement de ces disciplines en Afrique ?
Fairouz Malek : Avec ses 1,5 milliards d’habitants, l’Afrique, dans son ensemble, ne dispose que de 180 chercheurs par millions d’habitants, loin derrière la France qui en compte 4500 ou la Corée du Sud, championne en la matière, qui culmine à 7000. Le niveau actuel d’investissement ne permet donc pas au continent de rivaliser au niveau international pour l’instant. Il faudrait 1 million de chercheurs à l’Afrique pour atteindre ne serait-ce qu’un cinquième du progrès scientifique et technologique des nations occidentales. Et pour cela, il faudrait un investissement d’au moins 1% de son PIB. Un objectif inscrit dans les recommandations de l’Union Africaine pour 2024, qui ne sera malheureusement pas atteint, mais qui figure également dans l’agenda 2063 de l’Union Africaine.
Un projet de laboratoire sous-terrain est en élaboration en Afrique-du-Sud, pouvez-vous nous en dire plus ?
Fairouz Malek : C’est une opportunité sans précédent qui s’offre à l’Afrique du sud dans la région de Cape Town. Il y existe en effet un tunnel autoroutier, le tunnel Huguenot, qui a des configurations géologiques très similaires au tunnel du Fréjus, où se trouve le Laboratoire souterrain de Modane. D’où l’idée d’y loger un laboratoire souterrain pour traquer la matière noire, entre autres activités. Le projet, PAUL pour Paarl Africa Underground Laboratory, s’inspire du LS-Modane.
Quelle sera la singularité de ce laboratoire au regard des autres existants ?
L'un des faits les plus intéressants concerne la possibilité de réaliser une expérience de détection directe de la matière noire dans un laboratoire souterrain situé dans l'hémisphère sud. Cela permettrait de comparer les éventuelles erreurs systématiques ou de modulations par rapport à un même détecteur situé dans l'hémisphère Nord. Toute modulation annuelle corrélée à une variation de saisonnalité aura une phase opposée, donnant la possibilité de les discriminer par rapport à un signal de matière noire. Il ouvre également différentes régions de l'espace des paramètres lors de la recherche quotidienne des modulations. Plus encore, l'autre avantage de construire une installation de ce type en Afrique du Sud est de combiner la détection directe avec la détection indirecte de matière noire à partir des relevés de radioastronomie que l'Afrique du Sud mène (SKA, MeerKAT, etc.). Par conséquent, la forte synergie entre les sondes astrophysiques (indirectes) et le Paarl Africa Underground Laboratory (sonde directe) peut permettre de mesurer et limiter conjointement l'effet de la matière noire.
Y’a-t-il d’autres projets de grands instruments de physique nucléaire et de physique des particules en préparation sur le continent africain ?
Fairouz Mazek : Comme déjà évoqué, en physique nucléaire il y a les célèbres iThemba Labs, l’un situé à Cape Town et l’autre à Johannesburg. Il y a aussi des investissements de longue date dans des observatoires comme SAAO, SALT, MeerKat et plus récemment le grand télescope radio, SKA. Sans oublier H.E.S.S. et l’observatoire de l'Oukaïmeden situé près de Marrakech au Maroc qui a participé à la découverte de 7 exoplanètes. Il n’y a malheureusement pas d’autre projet d’envergure internationale en préparation, hormis PAUL et dans une moindre mesure le futur synchrotron Africain mais ni son emplacement ou ses collaborations et investissements ne sont encore définis à ce jour.
En savoir plus sur ACHEP
Lien vers le site indico de la conférence : https://indico.marwan.ma/event/1/
Site web de la conférence : https://fs.uit.ac.ma/achep/
La prochaine édition d'ACHEP se tiendra en Afrique du sud en 2025.
Des événements satellites pendant la conférence
ACHEP est la première conférence internationale de physique des hautes énergies organisée sur le continent africain. A l’occasion de ce rassemblement, des physicien(ne)s du monde entier seront réuni(e)s sur les campus des universités de Rabat et Kenitra, au Maroc. Au delà des présentations sur les dernières avancées du domaine, ACHEP organise plusieurs évènements satellites visant à faire découvrir la physique fondamentale à différent publics. Un café scientifique à l’Université de Rabat afin de présenter les découvertes et enjeux actuels en physique des particules au grand public. Des rencontres entre chercheur(e)s et étudiant(e)s en physique de Rabat et Kenitra afin de leur présenter un panorama des activités et métiers de la recherche. Une exposition présentant des photographies des instruments du CERN, le laboratoire européen de physique des particules abritant le plus grand accélérateur du monde.
Intervenant(e)s au café scientifique : Lydia Roos, Martin Gastal, Rachid Mazini, présentations d’Aziz Bensalah & Leïla Haegel
Intervenants aux rencontres universitaires : Luca Cadamuro, Hassnae El Jarrari, Younes Otarid, Leïla Haegel
Exposition photo : Yahya Tayalati, Mohamed Gouighri
Lien vers les site indico de la conférence : https://indico.marwan.ma/event/1/page/23-satellite-outreach-events