Entretien avec Marc Verderi, nouveau porte-parole de la collaboration Geant4

Portrait

Depuis la mi-avril, Marc Verderi, chercheur au LLR, a été élu porte-parole de la collaboration Geant4, dont il est un membre actif depuis 25 ans. Il nous parle de ce logiciel de simulation devenu un des maillons clés de la physique des hautes énergies moderne et de bien d’autres domaines. Entretien et portrait.

A quoi sert le logiciel Geant4 ?

 Geant4 est un logiciel de simulation. Il modélise le voyage de particules de haute énergie dans la matière en calculant les interactions physiques qu’elles subissent le long de leur trajet. Ce logiciel a été développé pour tester virtuellement les détecteurs de particules au stade de leur conception et optimiser leurs performances futures. En plus de cette aide à la conception, Geant4 est aussi un outil d’aide à l’analyse des données. En simulant des événements types, il aide à identifier des signatures particulières dans l’océan de données collectées au cours des expériences, il aide aussi à comprendre et à corriger les effets expérimentaux sur les données observées. Il permet ainsi aux chercheurs d’élaborer leurs méthodes d’analyse de données en fonction de ce qui est recherché et mesuré.

Simulation du détecteur CMS à l'aide de Geant4
Simulation dans Geant4 du détecteur CMS au CERN. Image collaboration CMS

Geant4 est apparemment devenu un outil indispensable pour les physiciens ?

Avec le temps Geant4 est même devenu « Mission critical » en physique des hautes énergies. Mais c’est le cas aussi dans d’autres domaines qui l’ont adopté. Dans le médical par exemple, où le logiciel sert à simuler le fonctionnement des appareils d’imagerie, mais aussi à prévoir les doses de rayonnement dans le cas de traitements. L’industrie spatiale aussi qui l’utilise pour concevoir des systèmes et des composants électroniques résilients aux radiations.

Le logiciel s’applique à beaucoup d’autres domaines que la physique des hautes énergies?

Il est utilisé dans des applications de plus en plus variées. En physique nucléaire, bien sûr, mais on le retrouve par exemple dans la simulation de scanners pour le contrôle des marchandises, la muongraphie qui scanne les monuments historiques, les volcans ou encore les réacteurs de la centrale de Fukushima. Il y a aussi l’étude des gerbes atmosphériques pour la conception de détecteurs au sol. Et puis on peut aussi citer la déclinaison Geant4-DNA, qui étudie l’action des rayonnements spécifiquement sur l’ADN, projet motivé au départ par l’ESA, dans la perspective des vols habités vers Mars.

Simulation Geant4 de la Station spatiale internationale
Simulation Geant4 de la Station spatiale internationale. Image ESA

Qu’est-ce qui fait le succès de Geant4 ?

Geant4 est assez unique en son genre. Il n’y a pas vraiment d’équivalent regroupant autant de fonctionnalités et de panel de physique, de plus sous forme de logiciel entièrement libre avec un code source 100% accessible et modifiable. Ensuite, de par sa conception en langage objet, il offre une très grande souplesse d’adaptation à tous les cas de figure possibles, même très éloignés des problématiques de physique des hautes énergies.

En quoi la programmation objet change-t-elle la donne ?

A l’origine, quand le programme s’appelait GEANT3 au début des années 90, il était rédigé en mode « procédural », à la façon d’une application classique qui contient toutes les fonctionnalités. Le souci c’était qu’il fallait y modifier des dizaines de routines à chaque fois que l’on souhaitait l’étendre à de nouveaux modèles physiques ou ajouter un type de volume différent. C’est pourquoi en 1994 le CERN qui avait le LHC en ligne de mire a voulu explorer la programmation orientée objet. L’idée était de créer un cœur de logiciel de simulation autour duquel se grefferaient des plugins prenant en compte la géométrie, la nature des matériaux, la physique et ses déclinaisons suivant des besoins spécifiques, etc…  Cette construction s’est révélée être un énorme avantage en particulier pour adapter Geant4 à toutes sortes de situations.

Ce logiciel évolue-t-il encore aujourd’hui ?

Naturellement, la collaboration compte une centaine de personnes éparpillées dans le monde, l’équivalent de 30 équivalents temps plein, qui s’occupent de corriger des bugs, de développer de nouvelles fonctionnalités, ou d’améliorer les performances. Régulièrement des évolutions sont proposées à la collaboration puis mises en œuvre.

Geant4 DNA étudie les effets des rayonnement sur la molécule d'ADN
Geant4 DNA étudie l’action des rayonnements spécifiquement sur l’ADN, projet motivé au départ par l’ESA, dans la perspective des vols habités vers Mars. Image collaboration Geant4 DNA

Quel genre d’évolutions effectuez-vous ?

Elles sont nombreuses. Beaucoup portent naturellement sur des évolutions de la physique, tant vers des descriptions plus détaillées à basse énergie, que vers des modèles de plus hautes énergies, mais aussi des extensions avec par exemple en ce moment des interactions de particules à quark lourds dans la matière. Plus personnellement, je m’occupe de « méthodes de réduction de variance » qui permettent avec très peu de tirs sur cible, de déterminer la probabilité des événements les plus rares, problèmes qui apparaissent en radioprotectiion par exemple. En temps normal on ne verrait apparaitre ces événements qu’après des quantités de tirs et des semaines de simulation. Dans Geant4, nous avons aussi développé la simulation inverse. Dans ce cas, au lieu de simuler des quantités d’impacts de particules sur un satellite afin de mesurer le niveau d’exposition d’un de ses composants, on prend comme point de départ des particules posées sur le composant et on remonte la cascade d’événements qui pourraient être à son origine. La méthode, développée par un petit génie de la collaboration, s’est révélée beaucoup plus efficace. Je suis persuadé que ces méthodes trouveront des applications en physique des hautes énergies. Mais il y a aussi des adaptations technologiques du logiciel pour qu’il exploite mieux les capacités des ordinateurs avec le multithreading par exemple.

L’enjeu de la vitesse de simulation est important pour Geant4 ?

Avec le projet du HL-LHC par exemple, il n’y a pas le choix. Les physiciens aimeraient que l’on augmente notre capacité d’un facteur 10. On devrait pouvoir gagner quelques facteurs, mais pas autant. Une des pistes étudiées depuis 2013 est d’adapter le logiciel pour qu’il fasse du calcul parallèle au niveau du calcul des interactions. Mais pour faire du traitement parallèle il faut des processus relativement linéaires, et la simulation dans Geant4, est tout sauf linéaire. Le logiciel passe son temps à faire évoluer les particules en fonction de tirages au sort pour imiter le côté stochastique du processus naturel. Adapter le logiciel au parallélisme est donc un chantier très compliqué.

C’est un des défis que vous allez relever durant votre mandat de porte-Parole ?

C’est en effet un des défis à relever, et je vais commencer par lancer une étude destinée à déterminer la limite asymptotique de l’usage du parallélisme et ainsi cerner les bénéfices à en attendre.  La précédente tentative, Geant-V, qui visait à vectoriser la simulation, n’a pas tenu ses promesses. Un autre défi, sans doute le plus difficile, est qu’après 25 ans d’existence, la collaboration a besoin de renouvellement en faisant entrer du sang neuf pour assurer sa pérennité. Par ailleurs, j’imagine qu’il faudra commencer à se préoccuper des questions de sobriété du logiciel. Les simulations conduites pour le LHC réclament parfois des mois de traitement dans des fermes de calcul, ce qui est très gourmand en énergie.

L’IN2P3 est-il une composante importante de la collaboration ?

L’institut est impliqué depuis le début dans Geant4. Notamment en la personne de Michel Maire du LAPP (maintenant à la retraire, mais toujours actif) qui en est l’un des pionniers. Et la collaboration a toujours été assez soutenue par l’IN2P3.  Actuellement, une dizaine de personnes dans nos laboratoires sont impliquées dans Geant4. Elles travaillent sur la géométrie, l'analyse, la physique électromagnétique, les exemples, la validation, la réduction de variance et la visualisation. Et il y a ceux qui travaillent sur Geant4-DNA.

A propos de la collaboration Geant4

  • Environ 100 membres
  •  Une dizaine de pays contributeurs + le CERN : France, UK, USA, Italie, Espagne, Danemark, Japon, Corée, Suède, Canada, Australie, Russie. Le CERN représente 1/5ème des membres à lui seul.
  • Laboratoires français impliqués : le CENBG, IJCLab, le LAPP et le LLR pour l’IN2P3, le CEA avec sa division nucléaire et l’IRFU, et l’IRISA.
  • http://geant4.org
  • http://geant4.in2p3.fr
Marc Verderi chercheur au LLR
Marc Verderi, chercheur au Laboratoire Leprince Ringuet (LLR)      Image Marc Verderi / LLR

Marc Verderi : un chercheur sur tous les fronts

Marc Verderi a testé à peu près toutes les facettes du métier de chercheur. A la fois chasseur de particules, développeur informatique et instrumentaliste. Un parcours tous azimuts qui vient aujourd’hui s’auréoler de deux succès : la réussite du projet de moniteur faisceau PEPITES et son élection comme porte-parole de la collaboration Geant4.

 

Enfant, Marc Verderi avait la tête perdue dans les étoiles et pleine de questions sur les origines et le destin de l’univers. Mais elle était surtout bien posée sur ses épaules. De ses rêveries astrophysiques, il a fait son métier : chercheur en physique des particules. Le jeune homme débute dans la recherche de la double désintégration béta sans neutrinos dans l’état, censée démontrer que le neutrino et l’antineutrino sont une même et unique particule. Sa thèse a pour objectif de prouver la faisabilité d’un détecteur à liquide contenant du germanium 76 dix fois plus sensible que les dispositifs de l’époque. Tandis qu’il phosphore sur la question, la pérestroïka vient malheureusement contrarier ses plans. Le monde découvre les cristaux de Germanium76 russes enrichis à 100%. Avec seulement 8% de Ge76, son détecteur est mis hors course avant même d’avoir été conçu.

 

D’ALEPH à BABAR

Qu’à cela ne tienne, dans la foulée de sa thèse, Marc Verderi intègre le CNRS et le Laboratoire Leprince Ringuet (A l’époque, le LPNHE). En 91, il rejoint la collaboration ALEPH au CERN et se lance dans l’étude du couplage des leptons Tau au boson Z en analysant les monceaux de données de l’expérience. Cette fois la chasse est fructueuse. Il rejoint alors la collaboration Geant4 initiée un an plus tôt par le CERN et ne la quittera plus. Il part dans le même temps poser ses valises auprès de l’expérience BABAR au SLAC à côté de San Francisco, pour prêter main forte à la recherche d’une rupture de symétrie matière/antimatière associée à la désintégration du quark Beauté. L’expérience est ingénieuse, bien conçue. Elle ne tarde pas à voir sans ambiguïté la violation. C’est donc auréolé d’un deuxième succès collectif que le chercheur quitte l’expérience Californienne pour le Japon en 2008 où il va s’affairer autour d’ATF2 à KEK, un projet de R&D visant à développer un système de focalisation finale pour les collisionneurs linéaires comme CLIC ou ILC.

 

Du modèle standard à la protonthérapie

Ces années sont charnières pour le chercheur. Il y développe le goût de la recherche en instrumentation et, parce qu’il va vivre sur place la terrible catastrophe de Fukushima, le goût pour la bonne terre ferme et paisible francilienne et l’envie de revenir à des travaux plus proches de la société. En 2012, on retrouve donc Marc Verderi embarqué dans le projet PEPITES, dont l’objectif est de fabriquer un capteur de monitorage de faisceau pour des appareils de protonthérapie utilisés dans la lutte contre le cancer. Le défi est de créer un capteur qui puisse être traversé par le faisceau sans le perturber. Mission accomplie huit ans plus tard avec un dispositif de 10 microns équivalent eau d’épaisseur fait de membranes polymères parcourues de minces bandes d’or qui émettent les électrons secondaires au passage du faisceau. La petite merveille a donné beaucoup de fil à retordre à la collaboration mais désormais elle marche et a fait l’objet d’un dépôt de brevet. Pendant toutes ces années, Marc Verderi ne cesse de travailler avec la collaboration Geant4. Il crée un système de bascule entre la simulation détaillée et la simulation rapide, contribue à rendre les « seuils de production » plus souples pour les simulations et participe au développement de la « méthode de réduction de variance » et de « la simulation inverse ». Son apport et son implication sont aujourd’hui récompensés par son élection au poste de porte-parole de la collaboration Geant4. C’est le moment de garder la tête froide.

Contact

Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3