Emiliano Olivieri, ingénieur en détection cryogénique, médaillé de cristal du CNRS 2025
Ingénieur-chercheur – ou l’inverse - au laboratoire de physique des deux infinis Irène Joliot Curie (IJCLab), Emiliano Olivieri conçoit des détecteurs cryogéniques innovants, qui s’approchent toujours plus près du froid absolu (-273,15°C). Un exploit scientifique et technique qu’il met, depuis ses débuts, au profit de deux grandes quêtes : détecter d’hypothétiques particules de matière noire, et percer l’identité encore mystérieuse du neutrino. Ce double fil conducteur le mène du Laboratoire souterrain de Modane en Savoie, à celui de Gran Sasso en Italie, ou de Canfranc sous les Pyrénées espagnoles, dont il est responsable depuis 2018 des installations cryogéniques de l’expérience Cross. D’un pays à l’autre, il y croise avec obstination les disciplines pour augmenter sans cesse la sensibilité des détecteurs. En lui attribuant en 2025 la médaille de cristal, le CNRS récompense cette combinaison féconde des sciences de l’ultra-froid et de la mesure de très haute précision.
Ne vous fiez pas à son accent italien : Emiliano Olivieri a quitté depuis vingt ans la chaleur de sa péninsule natale pour se rapprocher toujours plus près du froid absolu. Une aventure qu’il poursuit au Laboratoire de physique des deux infinis Irène Joliot Curie (IJCLab), à Orsay (Essonne). Ingénieur de recherche, il y développe des détecteurs cryogéniques fonctionnant à 20 voire 10 millièmes de degré du zéro absolu (soit -273,15°C), température la plus froide physiquement possible. Pourquoi descendre si bas ? « Pour détecter le moindre dépôt d’énergie », répond-il. Car les capteurs bolométriques qu’il conçoit traquent les particules fantômes. Celles qui interagissent à la fois très faiblement et rarement avec la matière. Dans le cristal figé, la moindre interaction dégage une infime énergie, qui se transforme en chaleur détectée. « Nous avons donc deux défis : mesurer avec une très grande précision l’énergie et identifier la particule qui l’a déposée ». Un double défi que l’ingénieur italien applique à une double quête : débusquer une particule de matière noire, cette matière invisible qui constituerait l’essentiel de la masse de l’univers ; et détecter une double désintégration béta sans émission de neutrino, événement qui prouverait que le neutrino est sa propre antiparticule, et préciserait sa masse comme sa nature. Mais enregistrer de tels événements hypothétiques, dans le bain des particules ambiantes, c’est un peu chercher une lueur de luciole dans un champ de projecteurs.
Détecter la matière noire dans le laboratoire souterrain de Modane
Qu’importe, Emiliano Olivieri est tenace. Et sa passion pour le froid lui vient de loin. De ses études universitaires, orientées déjà vers la physique des très basses températures, que l’étudiant poursuit d’un doctorat dans le même domaine en Italie et au Pays-Bas. Il enchaîne avec un post-doc en France, en travaillant en 2012 sur les détecteurs cryogéniques de l’expérience Edelweiss, pour détecter la matière noire dans le laboratoire souterrain de Modane, en Savoie. Un terrain de jeu parfait, même s’il lui faut pour cela apprendre la langue de Molière. Les détecteurs d’Edelweiss, comme les capteurs de neutrinos sur lesquels il travaillera ensuite, combinent deux voies de détection : la chaleur déposée par la particule dans le cristal froid, et l’ionisation ou l’infime scintillement de photons provoqués par l’interaction. « En combinant les deux signaux, on peut distinguer le type de particule qui interagit », explique-t-il. Problème : l’ionisation comme le scintillement sont noyés dans le bruit de fond.
En 2015, une idée lui vient : dans un cristal semi-conducteur, l’ionisation ou le scintillement créent des charges électriques (des paires électron-trou) que l’on peut faire dériver par un champ électrique. Cette dérivation échauffe le cristal, par effet Joule, de façon proportionnelle à la tension électrique appliquée. Un effet appelé Neganov-Trofimov-Luke, que le jeune chercheur teste avec succès. « En augmentant à volonté la chaleur produite par la particule détectée, j’obtiens un rapport signal-bruit beaucoup plus intéressant », observe-t-il.
Des détecteurs de référence
Plus facile à dire qu’à faire, cependant. Car si la tension devient trop forte, des courants de fuite apparaissent, qui échauffent le cristal et ruinent la mesure. « Aujourd’hui, nous fabriquons des détecteurs à très basse température capables de supporter 200 volts, ce qui améliore le rapport signal sur bruit jusqu’à 50 fois dans les cas extrêmes », s’enthousiasme l’ingénieur chercheur. Un savoir-faire qui a imposé ses détecteurs comme une référence. Ils seront utilisés par l’expérience CUPID, qui sera en 2030 la plus ambitieuse jamais menée pour percer la nature du neutrino. Elle poursuivra l’expérience CUORE, au laboratoire national souterrain du Gran Sasso, en Italie. « CUORE est l'expérience cryogénique la plus importante au monde. Elle utilise près d’une tonne de détecteurs, au voisinage du millikelvin, mais qui ne peuvent pas distinguer une particule bêta, ou gamma, des particules alpha qui constituent l’essentiel du bruit du fond. » CUPID les remplacera par 1 700 détecteurs scintillants en molybdate de lithium, cent fois plus performant. Un défi industriel pour l’IJCLab.
L’équipe monte déjà en puissance, en déployant récemment une cinquantaine de détecteurs identiques dans le laboratoire souterrain de Canfranc, dans les Pyrénées espagnoles, où Emiliano Olivieri dirige l'installation cryogénique du projet Cross : « C’est une mise en situation complète, qui anticipe ce qui se passera pour CUPID au laboratoire du Gran Sasso ». Il y déploie ses trouvailles antérieures. Comme utiliser des amortisseurs magnétiques pour atténuer les infimes vibrations susceptibles de provoquer un micro-échauffement parasite. Un dispositif qui décuple les performances. Il songe aussi à remplacer le germanium de haute pureté par du silicium, bien moins cher et moins sujet aux courants de fuite.
Entre Italie, Espagne et France
À 47 ans, Emiliano Olivieri ne compte donc pas lâcher sa passion pour l’ultra-froid. Au contraire, il est déterminé à aller encore plus loin. En travaillant, entre autres, sur les détecteurs de l’expérience TESSERACT de détection de matière noire, qui prendra la suite de l’expérience Edelweiss en se focalisant sur des particules moins massives, et donc transportant moins d’énergie. « Il faudra atteindre des seuils de détection encore plus bas, monter encore en compétence, que ce soit sur la partie mécanique ou électronique. » Il continuera ainsi à voyager, d’un instrument à l’autre, entre l’Italie, l’Espagne et la France. « Pour travailler avec des collègues stimulants et apprendre sans cesse de nouvelles choses », se réjouit-il, souhaitant aux prochaines générations de chercheurs une vie intellectuellement aussi riche, quelles que soient leurs propres quêtes.
Auteur : Emmanuel Monnier (Agence Les chemineurs)