Des propriétés inattendues du noyau de potassium 48 défient les modèles théoriques
Une collaboration internationale menée par l’université de Surrey et le LPC Caen a réalisé au GANIL une étude expérimentale de la structure du noyau de potassium 48, un isotope du potassium hautement exotique car très riche en neutrons. Neuf états excités ont été mesurés pour la première fois dans ce noyau par l’ensemble de détecteurs MUGAST, AGATA et VAMOS. Certaines de ces mesures interpellent les scientifiques, car les modèles théoriques ne parviennent pas pleinement à les reproduire.
L’équipe de scientifiques du LPC Caen et de l’Université de Surrey qui a passé au crible les états excités du potassium 48, un isotope du potassium sursaturé de neutrons, n’en espérait pas tant. Au moment de confronter leurs résultats expérimentaux aux prédictions théoriques, ils ont constaté un écart, signe qu’ils avaient mis le doigt sur de nouvelles corrélations entre nucléons, que les modèles théoriques ne prenaient pas en compte.
Découvrir de tels écarts est le Graal de ce genre de travaux de recherche, qui tentent progressivement de cerner tous les phénomènes à l’œuvre dans l’ensemble des noyaux. Et pour cause : des mélanges de configurations complexes, responsables des propriétés des états fondamentaux et excités d’un grand nombre de noyaux, ont été largement documentés et compris grâce à l’étude des noyaux les plus stables. Il s’avère cependant que, lorsqu’on s’éloigne de plus en plus de la stabilité, des effets et corrélations nouveaux peuvent se manifester, qui ne sont pas reproduits correctement par les modèles théoriques. Ce sont ces phénomènes que les scientifiques tentent de débusquer dans les noyaux les plus excentriques. Pour les uns, surchargés de protons, pour les autres, bardés de neutrons comme le potassium 48.
Le potassium 48 a même un petit plus qui en fait un terrain d’étude privilégié des physiciens et physiciennes nucléaires. En plus d’être très asymétrique avec 29 neutrons associés à seulement 19 protons, son nombre de neutrons est proche de 28. Or, 28 est un nombre clé en physique nucléaire, appelé nombre « magique ». Tout noyau qui disposera de 28 neutrons ou de 28 protons, sera immanquablement plus stable. Donc, dans le potassium, l’effet déstabilisant de la forte asymétrie et l’effet stabilisant de la proximité d’un nombre magique coexistent. Le cas est alléchant, restait à trouver le moyen de l’étudier.
On s’en doute, sonder un noyau aussi instable que le potassium 48, n’est pas chose facile. Pour y parvenir, les scientifiques ont mis au point un protocole d’étude original qu’ils ont appliqué dans les installations de pointe du GANIL. Pour générer le potassium 48, des ions radioactifs de potassium 47 ont été produits par le système SPIRAL1, accélérés par le cyclotron CIME puis projetés sur une fine cible de deutérium, un isotope lourd de l’hydrogène. La réaction avec le deutérium a pour effet d’ajouter un neutron au noyau, créant le potassium 48, tandis qu’un proton est éjecté de la cible. C’est en mesurant l’énergie de ce proton et des rayons gamma émis par la réaction à l’aide de l’installation de pointe MUGAST+AGATA+VAMOS que l’équipe de scientifiques a pu identifier certains niveaux d’énergie du noyau du potassium 48 et ainsi, le caractériser plus précisément.
Dans le détail, l’équipe du LPC Caen et ses partenaires britanniques sont parvenus à définir neuf nouveaux états excités à partir de mesures d’énergies et de sections efficaces. De manière inattendue, les approches théoriques employées (basés sur des interaction amplement utilisées dans cette zone de noyaux, SDPF-U et SDPF-MU) ne parviennent que partiellement à reproduire les données expérimentales : en particulier, il apparait clairement que certaines corrélations entre l’orbitale de protons s et les orbitales de neutrons fp ne sont pas correctement décrites.
Les implications de ce résultat pour les approches théoriques sont significatives et les théoriciens du noyau sont à pied d’œuvre pour corriger et affiner les modèles au regard de ce résultat expérimental, dans l’espoir qu’ils puissent un jour prédire avec justesse les comportements de noyaux encore plus riches en neutrons, plus lourds et plus rares. De telles prédictions permettraient de mieux comprendre certains processus astrophysiques inaccessibles par l’expérience en laboratoire, tels que la nucléosynthèse au cœur des étoiles, les supernovæ ou les collisions d’étoiles à neutrons, et par la même, l’origine des éléments dans l’Univers.