Réglages sur l'installation ISOLTRAP au Cern
Le dispositif ISOLTRAP, au Cern, ici en cours de réglage, permet de distinguer des différences de masse infimes entre noyaux, en leur faisant faire la course. Il a permis de mesurer la différence de masse entre l’état fondamental d’un noyau et l’un de ses états excités. Image: CERN

Des mesures ultra précises de la masse du noyau d’indium 99 défient les modèles de physique nucléaire

Résultats scientifiques Physique nucléaire

Profitant d’un gain de précision important, l’expérience ISOLTRAP au CERN, à laquelle participent des physiciens de l’IN2P3, est parvenue à mesurer l’infime différence de masse qui distingue le noyau magique d’Indium 99 dans son état fondamental de son équivalent excité (isomère). Le résultat, inattendu, met au défi les différents modèles nucléaires existants.

Un noyau gagne une stabilité supérieure à celle de ses voisins lorsqu’il a fait le plein de neutrons et/ou de protons dans ses différentes couches. Les physiciens nucléaires disent de ces noyaux qu’ils sont « magiques ». C’est le cas pour l’indium 99 et l’indium 131, qui affichent complet avec leurs 50 et 82 neutrons, respectivement. Cette manifestation, limpide, est utilisée par les physiciens et physiciennes nucléaires pour comprendre les forces qui gouvernent la stabilité du noyau. Pour cela ils comparent les propriétés intimes des noyaux magiques avec celles de leurs isotopes voisins.

Deux observables pour sonder les noyaux magiques

C’est ce qui a été conduit, par exemple, avec la mesure du moment magnétique. Le moment magnétique, c’est la manifestation électromagnétique moyenne du mouvement de tous les constituants chargés d’un noyau. Des variations brutales de moment magnétique, observées entre un isotope et ses voisins, sont ainsi souvent interprétées comme indications expérimentales de l’existence d’un noyau magique. Et effectivement, cette variation a bien été observée pour l’indium 99 et l’indium 131 avec leurs isotopes voisins. Un constat renforcé par les modèles théoriques de champ moyen et ab initio (qui modélisent le noyau atomique en tissant des liens étroits avec ses plus petits composants, les quarks) qui prédisent bien que l’indium 99 est un noyau magique.

Alors que tout semblait constituer un cadre cohérent, une nouvelle étude est venue semer le trouble. L’équipe de David Lunney, chercheur à IJCLab, a en effet décidé de tester cette stabilité accrue (attendue pour un noyau magique) en s’appuyant sur une autre observable des phénomènes à l’œuvre au cœur du noyau : la variation de masse entre l’état fondamental d’un noyau et son état excité « stable », autrement appelé isomère.

Pour cela, l’équipe pouvait compter sur le dispositif ISOLTRAP du CERN, conçu pour mesurer la masse des noyaux en chronométrant leurs allées et venues entre deux réflecteurs et capable aujourd’hui de discerner des écarts extrêmement petits, comme celui qui sépare la masse de l’indium 99 dans son état fondamental de celle de son isomère. Les noyaux les plus légers creusent un écart sur les plus lourds, qui grandit au fur et à mesure que la course se prolonge.

Résultats contradictoires

Contrairement à ce qui a été prédit pour le moment magnétique, la différence de masse entre l’état fondamental et l’isomère correspondant reste comparable pour les isotopes d’indium 99, 100 et 101. En somme, contrairement à ce que les modèles de champ moyen et ab initio prédisent, une variation brutale de moment magnétique n’est pas toujours une indication fiable de l’existence d’un système magique. La raison est sans doute à aller chercher du côté de la nature des nucléons. La complétion d’une couche de neutrons, n’aura pas le même impact que celle d’une couche de protons sur la stabilité du noyau.

Mais l’équipe n’en reste pas là et propose déjà des pistes. En utilisant un modèle en couches à grande échelle, qui propose une description plus phénoménologique comparé à celles d’autres modèles, Kamila Sieja, théoricienne à l’IPHC, est parvenue à retrouver le phénomène et à pointer du doigt l’origine de cette étrangeté. Il semblerait qu’elle soit la conséquence d’une interaction subtile entre les états des protons et les occupations neutroniques. Cette piste fournit en particulier un excellent moyen pour mieux affiner d’autres modèles théoriques, surtout les plus modernes qui sont basés sur des techniques ab initio et qui nous guident vers une meilleure compréhension de l’interaction entre les constituants d’un noyau. Une belle démonstration du dialogue fructueux que mènent expérimentateurs et théoriciens pour bâtir un modèle fidèle de l’interaction nucléaire.

Pour en savoir plus :

Contact

David Lunney
Chercheur à IJCLab
Kamila Sieja
Chercheuse théoricienne en physique nucléaire à l'IPHC
Marcella Grasso
Directrice adjointe scientifique "Nucléaire et structure du nucléon"
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3