Daniel Cussol : "Collaborer avec les industriels pour progresser"

Série valorisation épisode 4 :

Les partenariats industriels permettent aux entreprises et aux laboratoires de collaborer dans un échange gagnant-gagnant. Les entreprises profitent des savoir-faire et des compétences des laboratoires tandis que les scientifiques bénéficient de financements supplémentaires et d’opportunités de recherches parfois inattendues.  Daniel Cussol, directeur de recherche au LPC Caen nous fait part de son expérience.

N'est-ce pas inhabituel qu'un chercheur participe à des projets de collaboration industrielle ?

Effectivement, mon profil détonne un peu dans le paysage de la valorisation, car je suis à fois directeur de recherche CNRS et chargé de la valorisation. Généralement, ce sont plutôt les ingénieurs ou des enseignants-chercheurs qui s’occupent de ce genre de missions. De fait, je suis beaucoup plus loin des aspects « techniques » que ne le sont les ingénieurs par exemple. Donc, contrairement à eux, je ne vois pas forcément immédiatement tous les enjeux de valorisation. Cependant, ma spécialité, c’est la simulation numérique et c’est dans ce domaine particulier que je vais avoir mon champ d’expertise. Au sein du laboratoire, nous sommes en réalité deux avec Philippe Laborie à nous occuper de la valorisation. Ingénieur de recherche, c’est lui qui va plus couvrir les aspects techniques des projets de valorisation. Le groupe auquel j’appartiens, et que j’ai intégré en 2008 après 15 ans de recherche fondamentale, a été créé au début des années 2000. Ce groupe s’occupe principalement d’aider au développement d’applications de physique nucléaire en médecine et en radioprotection, en collaboration avec des industriels.

Pourquoi la recherche a-t-elle besoin de partenaires industriels ?

En fait, ce sont souvent les industriels qui ont besoin de nos compétences et moins l’inverse. Nous avons en effet des compétences et des savoir-faire qui peuvent, dans certains cas, répondre à des problématiques du secteur industriel. Bien sûr, ils pourraient tout à fait résoudre ces problématiques eux-mêmes, mais cela leur demanderait énormément de temps et d’argent pour atteindre notre niveau de compétences. C’est donc à la fois pour gagner du temps et de l’argent que les industriels se tournent vers les laboratoires de recherche. Pour nous, l’intérêt c’est de pouvoir aborder certains sujets de façon tout à fait originale et nouvelle et d’imaginer des utilisations de ce que nous avons développé dans d'autres domaines que la recherche pure et dure. Du même coup, cela nous permet à nous aussi de nous améliorer, d’augmenter la qualité et les performances de nos instruments à des niveaux que nous n’aurions peut-être pas atteints si nous étions restés seulement dans de la recherche fondamentale.  Par exemple les chambres à ionisation que nous avons développées avec la société IBA ont bénéficié de ce partenariat. La version réduite du moniteur faisceau, que nous avons développé pour eux, a servi à mesurer et contrôler les doses reçues par des cultures cellulaires avec une fiabilité et une précision accrue par rapport aux méthodes traditionnellement utilisées dans ces expériences.  Cet instrument destiné à la recherche fondamentale n’aurait peut-être pas vu le jour sans ce partenariat industriel. Nous n’aurions pas eu de nécessité immédiate d’améliorer grandement la qualité de nos instruments.

Ces partenaires industriels participent-il au financement de vos recherches ?

Effectivement, nos services ne sont pas gratuits. Pour nous, ces partenariats amènent des financements propres au laboratoire et aux équipes participantes. Cela dit, ils nous permettent aussi de développer des thématiques exploratoires. Ils nous apportent des financements et des pistes d’idées, et nous leur fournissons nos compétences et nos savoir-faire. C’est donc quelque chose de réciproque. De toute façon au niveau du laboratoire, nous n’acceptons de collaboration avec des industriels, que lorsque cette dernière est profitable au niveau recherche fondamentale. C’est primordial. Nous refusons de faire de la prestation avec des industriels en échange de financements.

Pourquoi le LPC Caen est-il si actif en termes de valorisation ?

Nous bénéficions au niveau du territoire d’un environnement favorable. En effet en Normandie il y a une grande présence d’installations à caractère nucléaire avec l’usine de retraitement des déchets de La Hague et l’EPR de Flamanville. Il y a donc un terrain socio-économique dans le secteur du nucléaire qui nous permet d’établir plus facilement qu’ailleurs des collaborations industrielles. Le besoin par exemple de dosimètres individuels pour les travailleurs et travailleuses du nucléaire nous a conduit à avoir un contrat de collaboration avec l’entreprise Orano. De plus, nous avons beaucoup de contacts avec le milieu médical et notamment pour l’élaboration de systèmes de contrôle de l’irradiation, ce qui a conduit là-aussi à développer des partenariats industriels. Finalement ce genre de collaborations est quelque chose d’assez ancien pour nous.

Comment le monde de la recherche et le monde industriel font pour avoir connaissance des besoins de l’autre ?

Ça passe avant tout par la communication. Il faut mettre en place, en amont, des outils qui permettent au monde industriel d’avoir connaissance de nos savoir-faire et de nos compétences et pour nous de prendre connaissance de leurs besoins. En Normandie nous avons eu pendant très longtemps un outil très efficace qui s’appelait Nucléopolis. Cet outil tenait à jour un catalogue des industriels pouvant potentiellement être intéressés de participer à une collaboration avec un laboratoire. Ce catalogue était très utile car il organisait régulièrement des réunions entre industriels et scientifiques, permettant de pointer les besoins des industriels auxquels pouvait potentiellement réponde le milieu académique. Cependant, la plupart des partenariats au sein du laboratoire ont germé presque par hasard : au gré de discussions dans des congrès ou lorsque des personnes, au courant de nos travaux, viennent nous voir directement.

Est-ce que vous auriez un exemple projet de collaboration industrielle emblématique ?

Si je ne dois en citer qu’un, ce serait sans aucun doute notre partenariat avec la société belge IBA. IBA (Ion Beam Applications) développe des accélérateurs de protons pour des usages industriels ou pour la médecine. Comme je l'ai dit précédemment, nous avons développé en collaboration avec eux un moniteur faisceau (le moniteur IC2/3) afin de contrôler et mesurer les doses reçues par des patients lors de traitement de protonthérapie. Ils ont financé une thèse et le matériel nécessaire au développement de cette chambre. Dans la mesure ou une personne est irradiée, il fallait des mesures précises à moins de 1,5% sur toute la surface active de la chambre (30cm x 30 cm) et une répétabilité inférieure à 1%. La localisation du faisceau devait se faire avec une précision inférieure à 0,1 mm. Ces performances devaient de plus être atteintes en perturbant le moins possible le faisceau de protons. Nous avons développé le prototype de ce moniteur et effectué les tests sous faisceau au centre de proton-thérapie d''Essen en Allemagne. Comme dans un premier temps IBA avait du mal à reproduire les mêmes performances avec la version industrielle du moniteur IC2/3, nous leur avons construit les premiers exemplaires, qui ont été installés sur leurs accélérateurs de protonthérapie. Lorsqu'en 2007 un projet de centre de recherche en hadronthérapie a été évoqué sur le site de Caen (projet ARCHADE), IBA s'est déclaré intéressé pour fournir un accélérateur prototype pour ce centre (le C400). Du fait des bonnes relations que nous avions avec eux, cela a probablement contribué à leur implication dans le projet. Le centre de protonthérapie est opérationnel à Caen depuis juillet 2018. J'ai la faiblesse de penser que si le troisième centre français de protonthérapie est à Caen, c'est un peu grâce à cette collaboration. Elle nous a permis de financer nos activités et celles du laboratoire, d'acquérir de nouvelles compétences sur les détecteurs gazeux tandis que la Région Normandie a pu acquérir un centre de protonthérapie. Tout le monde a été gagnant !

Y’a-t-il des inconvénients dans ces collaboration industrielles ?

Il peut y en avoir en effet. Par exemple, nous avions un projet de collaboration en simulation numérique avec une entreprise. Cette collaboration est finalement tombée à l’eau parce que l’entreprise s’est retirée au dernier moment. C’est un travers de ces collaborations, car certaines entreprises ne voient que l’aspect financier immédiat, sans voir les bénéfices à long termes. Elles vont chercher des partenaires académiques afin de devenir éligible à certaines subventions publiques. Nous avons mis beaucoup de temps à comprendre que notre partenaire industriel allait nous lâcher. Personnellement, c’est la première fois que ça m’arrive mais il semblerait que ce ne soit pas si rare.

Est-ce que certains chercheurs ou chercheuses rechignent à participer à ces projets de collaboration avec des industriels ?

Il existe encore, c’est vrai, des oppositions de principe. Certains pensent que, du fait que nous sommes une entité publique, nous n’avons rien à voir et rien à faire avec le secteur privé. C’est une position que je trouve trop radicale pour ma part, car tant qu’il y a un intérêt pour nos recherches fondamentales, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas collaborer avec les industriels. Cependant, les mentalités évoluent. J’ai un collègue qui, il y a 10 ans, était farouchement opposé à toute forme de collaboration avec le privé. Aujourd’hui, il participe activement à certaines collaborations. Il n’y a pas d’opposition entre recherche fondamentale et partenariat avec le privé. Il faut simplement prendre garde à ne pas devenir des prestataires de service, ce qui pourrait dénaturer complètement notre travail et ce que nous refusons de faire.

Contact

Daniel Cussol
Directeur de recherche au LPC Caen
Stephan Beurthey
Chargé de mission "Partenariats industriels et valorisation"
Fabien Houy
Chargé de communication à l'IN2P3