Patrick Chardon
Patrick Chardon est Ingénieur en métrologie nucléaire. Image : Javier Escartin

Patrick Chardon, Ingénieur en métrologie nucléaire, médaillé de cristal du CNRS 2025

Distinctions

Ingénieur en métrologie nucléaire au Laboratoire de physique Clermont Auvergne (LPCA), Patrick Chardon mesure ou calcule les différents niveaux de radioactivité rayonnée en un lieu, et les doses reçues par les organismes vivants. Il monte surtout des réseaux où se rencontrent experts et société civile autour de questions sociétales. Du réseau Becquerel fédérant les laboratoires de métrologie nucléaire de CNRS Nucléaire & Particules, à la Zone atelier territoires uranifères (Zatu) qui fait dialoguer sciences « dures » et humaines sur l’impact de la radioactivité naturelle, ou encore le projet Nodssum, qui étudie celui des déchets nucléaires immergés dans l’Atlantique sur les écosystèmes marin, cet insatiable curieux déploie sa volonté de s’inscrire dans la rencontre et l’action pour préserver notre environnement comme celui des générations futures.  Il est récompensé en 2025 de la médaille de cristal du CNRS.

Vu la complexité des enjeux auxquels nous sommes confrontés, aucune science ne sera de trop pour trouver des solutions !
La science, c’est d’abord un travail d’équipe, des rencontres avec des personnes fabuleuses qui m’ont donné les moyens de lancer mes projets

Croiser les sciences, tisser des liens entre acteurs provenant d’horizons les plus divers : Patrick Chardon se perçoit d’abord comme un connecteur de savoirs. « Les problèmes à résoudre sont de plus en plus complexes, une seule science ne peut pas répondre à tout », se justifie cet ingénieur de recherche, au Laboratoire de physique Clermont Auvergne (LPCA, CNRS – Université Clermont-Auvergne). Expert en métrologie nucléaire, son métier consiste d'abord à mesurer des radioactivités pour en déterminer les effets sur les organismes vivants dans un milieu. Il anime ainsi la plateforme d’irradiation Pavirma, qui permet d’étudier les effets de la radioactivité sur des êtres vivants et développe des protocoles d’analyse pour mesurer ce que deviennent différents radionucléides dans l’environnement naturel.

Un travail de terrain qui nécessite d’aller à la rencontre des gens

Un domaine qui suscite de vives réactions émotionnelles, à l’image des cartographies de radioactivité qu’il a pu réaliser autour de la zone d’exclusion de Tchernobyl. Il s’en rend compte, dès l’année 2000, lorsque jeune ingénieur fraîchement intégré au laboratoire Subatech de Nantes, après six années passées dans une filiale de la Lyonnaise des eaux, il réalise ses premières mesures de radioactivité autour de mines d’uranium. « Un travail de terrain qui nécessite d’aller à la rencontre des gens, dans des contextes parfois tendus », raconte-t-il. Lui-même avoue un rapport ambivalent avec l’énergie nucléaire, fascinante à étudier mais aux effets potentiellement destructeurs. D’une étude à l’autre, il prend conscience que ses mesures d’impact de radionucléides sur l’environnement ne répondent que partiellement aux questions complexes qui se posent. « Des questions sociétales, de lien entre les exploitants, les autorités et le public, qui nécessitent de faire intervenir des sciences humaines et sociales ». Ces enjeux, Patrick Chardon les retrouve dans les dossiers de démantèlement d’installations ou de gestion des déchets nucléaires sur lesquels il intervient et à l’occasion desquels il entre en contact avec des associations de défense de l’environnement ou encore avec les commissions locales d’information des différents sites nucléaires.

Avec Jacques Martino, à l’époque directeur du laboratoire Subatech (et devenu par la suite directeur de CNRS Nucléaire & Particules), il crée en 2010 le réseau Becquerel, pour fédérer les laboratoires de mesures de radioactivité de CNRS Nucléaire & Particules, disséminés à Nantes, Bordeaux, Lyon… « Pour jouer sur les complémentarités, élargir la vision et s’emparer de problématiques de plus en plus complexes », explique-t-il. Pour inciter, aussi, les chercheurs à sortir de leur laboratoire, à se frotter aux exploitants comme à la société civile, et à des questions qu’ils n’avaient pas pensé à se poser. L’ingénieur élargit encore son horizon en lançant quelques années plus tard avec Vincent Breton, un collègue du LPCA, un observatoire d’étude et de recherche sur la radioactivité naturelle dans le Puy-de-Dôme. Objectif : étudier l’impact des faibles doses sur le vivant, dans toutes ses dimensions, en étudiant autant la radioactivité présente que les rapports entre les gens qui en vivent ou qui la subissent. La Zone atelier territoires uranifères (Zatu) est née, pilotée par l’Institut CNRS Écologie et environnement. Elle associe des physiciens, biologistes, radiochimistes, géologues, sociologues... Une première labellisation CNRS est obtenue en 2015. Au fil des ans, après l’arrivée de Patrick Chardon au LPCA en 2017, d’autres organismes comme l’IRSN, le BRGM ou le CEA rejoignent le réseau. Jusqu’à fédérer aujourd’hui 28 laboratoires différents.

Cartographier les fûts de déchets nucléaires abandonnés dans l'Atlantique

La Zatu étudie à nouveau les niveaux de radioactivité autour d’anciennes mines d’uranium, ainsi que d’autres sources de radioactivité naturelle dans cette région granitique. Un dialogue fructueux s’est également noué avec les acteurs du thermalisme, sur le rôle que pourrait jouer la radioactivité naturelle des eaux thermales dans leurs vertus thérapeutiques. Un retour aux sources, si l’on peut dire, puisque le grand-père de Patrick Chardon avait travaillé, en son temps, dans les eaux de Vichy. Quels éléments y sont présents ? Que deviennent-ils ? Et quelles communautés microbiennes favorisent-ils ? Autant de questions scientifiquement prometteuses.

Après l’eau de source, celle des océans…  Des discussions avec Javier Escartin, géologue océanique de l’Insu, l’amènent à s’intéresser aux centaines de milliers de fûts de déchets nucléaires que plusieurs pays européens, dont la France, ont immergés sous près de 5 000 mètres d’eau dans les fosses abyssales de l’Atlantique Nord-Est, de 1949 à 1982. Que sont devenus ces fûts ? Quel impact ces déchets nucléaires abandonnés ont-ils sur les écosystèmes marins ? Pour répondre, tous deux montent le projet Nodssum (Nuclear Ocean Dump Site Survey and Monitoring), au début des années 2020. La Flotte océanographique française accepte d’y associer ses moyens. Une première campagne d’exploration mobilise du 15 juin au 11 juillet 2025 un sonar de très haute définition pour cartographier ces fûts. Des prélèvements seront faits, à distance des fûts pour l’instant. Des biologistes qui naviguent avec lui évalueront l’impact de ces déchets radioactifs sur les crevettes, les micro-organismes, les poissons, les sédiments. « Si on m’avait dit, quand j’ai intégré l’IN2P3, que je partirais en mer faire de l’exploration... », savoure-t-il. Une seconde campagne se profile dans les prochaines années. Et le projet bénéficie d’un premier soutien de la convention Ospar (Oslo-Paris), qui fédère les Etats concernés par les pollutions dans l’Atlantique Nord-Est.

Créer sans cesse de nouveaux réseaux

Voilà qui suffirait à remplir une vie. Mais à 55 ans, Patrick Chardon continue à s’investir dans de nouveaux projets. Il commence à s’impliquer dans les travaux du SOSI (Suivi ouvert des sociétés et de leurs interactions), de l’Institut des sciences humaines et sociales (INSHS) du CNRS et portés par l’historien Renaud Meltz, sur le Centre d’expérimentation du Pacifique qui réalisait jusqu’en 1996 les essais des armements nucléaires français. « L’étude s’intéresse aux conséquences sur la société de ces essais, qui ont conduit à des aménagements du territoire et à des chocs culturels », détaille-t-il.

Cette volonté farouche de créer sans cesse de nouveaux réseaux lui valent de recevoir en 2025 la médaille de cristal du CNRS. Avec humilité, il répète qu’il « aime simplement aller à la rencontre des gens, cette dimension collective des sciences ». Un décloisonnement qu’il compte poursuivre dans les années de recherche qui lui restent, au gré des nouvelles rencontres qu’il fera, en profitant pleinement de la liberté académique dont il jouit et qu’il apprécie à sa juste valeur.

Auteur : Emmanuel Monnier (Agence les Chemineurs)

Contact

Jacques Marteau
DAS Nucléaire pour le bénéfice de la société CNRS Nucléaire & Particules
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication CNRS Nucléaire & Particules