La collaboration Einstein Telescope dévoile les objectifs scientifiques de son futur détecteur géant d’ondes gravitationnelles

Développements techniques Astroparticules et cosmologie

Précision accrue, détection des populations de trous noirs stellaires et d’étoiles à neutrons sur toute l'histoire de l'Univers… C’est le tableau séduisant que brosse le Physics Book d’Einstein Telescope, le document qui recense les questions scientifiques que le futur interféromètre européen de détection d’ondes gravitationnelles sera en mesure de faire progresser. Quelques semaines après la publication de ce document fondateur, Patrice Verdier, coordinateur scientifique d’Einstein Telescope en France, revient sur ces conclusions et l’avenir de ce chantier ambitieux. 

Prévu pour l’horizon 2040, le projet d’observatoire Einstein Telescope représente la troisième génération de détecteurs d’ondes gravitationnelles. Il a pour ambition de succéder au détecteur européen Virgo actuellement en service en Italie. Einstein Telescope permettra de détecter des ondes gravitationnelles, ces ondulations de très faibles amplitudes de l’espace-temps, grâce à des interféromètres lasers de très grandes dimensions (des bras de 10 à 15km de long) couvrant une gamme en fréquence allant du Hz au kHz. Le nouvel observatoire européen prévoit de pousser toujours plus loin le principe de l’interférométrie (bras de 10km de long, infrastructure souterraine, intensité laser renforcée, miroirs de très grande taille, technologies quantiques) pour une précision accrue, avec à la clef, des avancées majeures en cosmologie et en astrophysique. Depuis la structuration de la collaboration internationale en 2022, le projet avance à grands pas. Il est inscrit sur la feuille de route européenne des infrastructures de recherche (ESFRI) et fait l’objet d’études préparatoires. La publication du Physics Book en avril 2025 est une nouvelle étape clé dans le long processus de conception et de décision qui doit conduire à la réalisation en Europe de cette infrastructure de recherche majeure.

Patrice Verdier, coordinateur scientifique d’Einstein Telescope en France et directeur de recherche à l’IP2I, commente ces perspectives scientifiques telles que présentées dans le Physics Book, document fondateur ayant bénéficié d’une contribution française importante.

Quelle est la finalité de ce Physics book et comment a-t-il été réalisé ?

Le Physics book est un document résumant les études et l’état de l’art relatifs à l’utilisation des ondes gravitationnelles, pour faire émerger le programme de physique qu’Einstein Telescope abordera lorsqu’il sera en fonctionnement. C’est un document d’une importance capitale pour notre collaboration dans la mesure où il donne des références concrètes sur les performances attendues, mais aussi sur la manière dont le programme de physique sera impacté par les différents paramètres de l’instrument tels qu’envisagés par nos équipes.

Un groupe de travail fort de plus de 200 scientifiques, coordonné par l’Observation Science Board de la collaboration, travaille depuis deux ans à la conception de ce document. Il s’agit d’analyser, compiler, restituer les travaux d’une collaboration internationale impliquant 1785 membres de 260 instituts, essentiellement en Europe. Un effort collectif conséquent dans lequel les scientifiques des quatre instituts CNRS (CNRS Nucléaire & Particules, CNRS Terre & Univers, CNRS Physique et CNRS Ingénierie) ont joué un rôle important. Nos équipes ont non seulement contribué aux études scientifiques mais aussi à la coordination des contributions et à la rédaction du Physics book.

Que nous apprend ce « Physics Book » sur les apports d’Einstein Telescope à la physique fondamentale et la cosmologie ?

Le Physics Book d’Einstein Telescope (ET) aborde de nombreuses études en cours liées à notre compréhension de l'Univers, tant en physique fondamentale qu’en astrophysique ou en cosmologie. Einstein Telescope est un instrument qui permettra de tester la relativité générale avec une précision exceptionnelle. Grâce à sa sensibilité accrue par rapport aux détecteurs actuels, ET pourra détecter des signaux d'ondes gravitationnelles provenant d’événements lointains, nous permettant ainsi de tester les limites de la théorie de la relativité générale, notamment dans les environnements proches des trous noirs mais aussi dès la formation des premières étoiles et galaxies.

En cosmologie, ET nous fournira des informations cruciales sur la matière noire et l’énergie noire, des composants invisibles de l'Univers dont la nature est encore aujourd’hui inconnue. Un des grands défis d’ET sera de permettre l’étude des premières fractions de seconde après le Big Bang en détectant les ondes gravitationnelles du fond stochastique, soit le fond d’ondes gravitationnelles qui aurait pu être généré aux premiers instants de l’Univers par des processus liés à l'inflation cosmique. Ces observations pourraient fournir des indices sur les origines de l'Univers et sur la façon dont il a évolué.

Mais ce n’est pas tout. ET fournira une nouvelle mesure indépendante de la constante de Hubble, qui décrit l’accélération de l’expansion de l’Univers, en relevant avec précision la position de certaines étoiles à neutrons, dites chandelles cosmologiques. Notre détecteur apportera donc un éclairage sur la valeur de cette constante, dont les mesures actuelles sont sources de fortes tensions entre les méthodes utilisées. 

Einstein Telescope nous permettra-t-il d’en savoir plus sur la physique des objets astronomiques à l’origine des ondes gravitationnelles, tels que les trous noirs ou les étoiles à neutrons ?

Oui. L'une des grandes avancées d’ET réside dans sa capacité à observer des événements astrophysiques extrêmes comme les fusions de trous noirs ou d’étoiles à neutrons, et ce, avec une sensibilité inégalée. Les fusions de trous noirs et d’étoiles à neutrons sont les sources principales d'ondes gravitationnelles dans le domaine de fréquence d’ET, et grâce à sa sensibilité améliorée d’un facteur 10, ET pourra détecter ces événements à des distances beaucoup plus grandes que ce que les détecteurs actuels, LIGO, Virgo et KAGRA, peuvent accomplir. La sensibilité nominale d’ET permettra d’observer environ 100 000 fusions de trous noirs et d’étoiles à neutrons par an (contre quelques centaines pour les détecteurs actuels) dont plusieurs centaines de fusions d’étoiles à neutrons avec une contrepartie électromagnétique. Cette sensibilité permettra aussi à ET de détecter des supernovæ et des pulsars isolés ce qui constituerait une première pour un détecteur d’ondes gravitationnelles. 

ET permettra aussi de mieux comprendre la matière nucléaire dans des conditions extrêmes grâce à l’étude des fusions d’étoiles à neutrons, les ondes gravitationnelles émises par ces fusions portant des informations précieuses sur la structure interne de ces objets compacts.

Que dit le « Physics Book » sur l’apport d’Einstein Telescope à l’astronomie multi-messagers ?

L'astronomie multi-messagers, qui combine les observations de différentes sortes de signaux — ondes gravitationnelles, contrepartie électromagnétique, neutrinos, etc. — est l’un des domaines où Einstein Telescope aura un apport essentiel. Nous pourrons coordonner les observations d’ondes gravitationnelles avec des télescopes électromagnétiques ou des détecteurs de neutrinos. Cette approche conjointe offrira une vision beaucoup plus complète de ces événements astrophysiques, enrichissant ainsi notre compréhension des processus physiques sous-jacents et ouvrant de nouvelles voies d'exploration pour les astrophysiciens.

Quelles sont les synergies envisagées avec les autres détecteurs d’ondes gravitationnelles ?

Le Physics Book met en évidence le fait qu’Einstein Telescope ne sera pas un acteur isolé, mais s'intégrera dans un réseau mondial d'interféromètres de troisième génération. Par rapport aux détecteurs LIGO, Virgo et KAGRA, ET aura une couverture en fréquence plus large et une sensibilité accrue dans les basses fréquences, qui complètera les observations réalisées par les autres détecteurs. 

Parmi ces autres détecteurs, on peut nommer Cosmic Explorer qui est également un projet de troisième génération pour la détection terrestre d'ondes gravitationnelles, s’inscrivant dans la suite logique du programme de jouvence de LIGO aux Etats-Unis. Einstein Telescope et Cosmic Explorer devraient fonctionner au sein d’un réseau mondial pour la détection des ondes gravitationnelles, comme c’est actuellement le cas pour LIGO-Virgo-KAGRA, ceci afin d’augmenter le potentiel de découverte et fournir une localisation des sources avec une grande précision pour l’astronomie multi-messager.

Le calendrier d'ET est également en phase avec celui de la mission spatiale LISA de l'ESA, qui observera les ondes gravitationnelles à des fréquences 10 000 fois inférieures à partir de la fin des années 2030. Les deux instruments fonctionneront alors en synergie. ET comblera l'écart entre les trous noirs de masse stellaire, déjà observés en quantités inattendues par Virgo et LIGO, et les trous noirs supermassifs, attendus avec LISA, en détectant les trous noirs de masse intermédiaire, germes potentiels des trous noirs supermassifs dans l'évolution cosmique.

Est-il possible que les observations d’Einstein Telescope bouleversent profondément notre vision de l’Univers ?

Einstein Telescope, avec sa sensibilité exceptionnelle, nous fera rentrer dans l’inconnu. Nous étudierons les objets astronomiques et les propriétés fondamentales de l’Univers avec une telle précision que nous serons en mesure de confronter de nouveaux modèles, qui pourraient en effet bouleverser nos paradigmes actuels sur la matière noire, l’énergie noire ou encore l’expansion de l’Univers. Maintenant, s’agira-t-il de déviations par rapport à des théories existantes ou de nouvelle physique, allant au-delà des modèles standards ? À ce stade tout reste du domaine du possible. 

Quelles sont les prochaines étapes pour la collaboration Einstein Telescope ?

Les prochaines étapes pour la collaboration Einstein Telescope sont principalement axées sur la conception finale du détecteur, la sélection du site et la recherche de financements. Le projet est en phase préparatoire (2022-2026), et une décision devra être prise concernant l’emplacement de l’infrastructure, avec des discussions sur les sites potentiels en Europe et la géométrie du système d’interféromètres (en L ou en triangle). Trois sites sont actuellement en compétition pour héberger le télescope : la Sardaigne en Italie, l’Eurorégion Meuse-Rhin à la frontière entre Allemagne, Belgique et Pays-Bas, et la Saxe, en Allemagne. 

En parallèle, les équipes de la collaboration internationale continueront leurs efforts pour développer les technologies nécessaires aux interféromètres hautes et basses fréquences d’Einstein Telescope. Les équipes françaises sont fortement mobilisées dans cet effort, préparant notamment le développement de miroirs de très grande taille et qualité au LMA. Un programme ambitieux de financement de ces R&D est indispensable dans les quatre années à venir pour soutenir cette participation française. 

Les chercheurs travaillent également sur des partenariats avec d'autres projets scientifiques, notamment ceux impliquant l'astronomie multi-messagers, et continuent à développer les technologies  nécessaires pour réaliser les objectifs ambitieux d’ET, notamment dans le domaine des e-infrastructures et le développement de techniques numériques telles que le machine Learning et l’intelligence artificielle pour l’analyse de données.

Contact

Patrice Verdier
Responsable France Projet Européen ET-PP
Thomas Hortala
Chargé de communication
Nicolas Leroy
Directeur adjoint scientifique "Astroparticules et cosmologie"