Salle laser avec une opératrice et un opérateur
L'énergie laser nécessaire pour exciter les différents isotopes de Fermuim permet indirectement de déduire leur rayon de charge. De façon surprenante, ils se ressemblent tous et sont allongés comme des ballons de rugby.Image : P. Lecomte pour le GANIL

Des propriétés nucléaires du fermium mises en lumière avec des lasers

Résultats scientifiques Physique nucléaire

L’étude conduite sur 8 isotopes du fermium par une collaboration impliquant des scientifiques du GANIL, du LPC Caen et de l'IP2I consistait à suivre l’évolution de leur rayon de charge nucléaire grâce à des techniques de spectroscopie laser de pointe. L’étude a montré une augmentation constante de ce rayon de charge à mesure que des neutrons étaient ajoutés aux noyaux, indiquant que les effets de couche nucléaire localisés dans cette région de la charte des noyaux ont une influence très réduite sur la taille et la forme de ces noyaux lourds, alors que ces effets sont très importants sur l’énergie de liaison de ces mêmes noyaux. Ce résultat expérimental, en accord avec les prédictions de plusieurs modèles de physique nucléaire, suggère une transition vers un régime dans lequel les effets de couches ont une influence réduite sur la taille des noyaux en comparaison avec des noyaux plus légers. 

Les physiciens nucléaires du GANIL, du LPC Caen et de l’IP2I n’ont pas attendu le démarrage attendu de leur futur instrument S3 pour s’emparer des mystères des noyaux très lourds et de la transition de leurs propriétés vers les noyaux superlourds. En intégrant une équipe de scientifiques internationaux travaillant sur le séparateur SHIP, hébergé au centre de physique allemand GSI, les chercheurs et chercheuses CNRS Nucléaire & Particules ont contribué à mettre en évidence des propriétés intéressantes des isotopes de fermiums par spectroscopie laser. Cet élément fait partie de la région de transition entre les éléments les plus lourds naturellement existants sur terre et les éléments appelés « super lourds », qui commencent à l’élément 104 (élément qui possède 104 protons). Ces derniers doivent leur existence aux effets de couches de la mécanique quantique qui rend compte de la façon dont les nucléons (protons ou neutrons) remplissent les couches nucléaires. En effet, dans les noyaux les plus lourds, ces effets de couches apportent la stabilité nécessaire à leur cohésion en contrant les forces de répulsions entre les très nombreux protons chargés positivement. Ces noyaux atomiques constituent donc un banc de test idéal pour des études approfondies de la structure nucléaire.  Ils ont une forme plus proche d’un ballon de rugby que sphérique et cette déformation permet aux nombreux protons d’être plus étalés dans le noyau que dans un noyau sphérique. 

Des noyaux qui n’existent pas naturellement sur terre

Le projet de la petite équipe internationale ne manquait pas d’ambition : il s’agissait de mesurer la différence de rayon de charge – la valeur dénotant la distribution des protons dans les noyaux – de huit isotopes de fermium, soit huit noyaux à 100 protons mais au nombre de neutrons différent, qui n’existent pas naturellement sur terre. Les isotopes présentant une longévité élevée (le fermium-255 et 257) ont été produits au laboratoire américain d’Oak Ridge ainsi qu’à l’Institut Laue-Langevin, à Grenoble, et ont fait l’objet d’une étude séparée à l’Université Johannes Gutenberg de Mainz. Les isotopes les plus instables, cependant, ont dû être produits en ligne au séparateur SHIP de GSI, certains à seulement quelques atomes par minute, et étudiés par spectroscopie laser dans la foulée, avant qu’ils ne se désintègrent. Une opération délicate rendue possible par un protocole expérimental tout récemment optimisé qui permet désormais d’étudier des noyaux parmi les plus rares comme le Fermium.

Bombarder chaque noyau avec des photons sur une vaste gamme de longueurs d’ondes

« Une fois les noyaux produits grâce à l’accélérateur de GSI, nous les arrêtons dans leur course à l’aide d’un nuage d’argon, puis ils se neutralisent en récoltant des électrons, explique Nathalie Lecesne, ingénieure de recherche au GANIL, qui a participé à l’étude. Cette première étape nous fournit des atomes neutres, que nous excitons en les bombardant avec un laser de longueur d’onde correspondant à l’énergie nécessaire pour exciter un des électrons de l’atome sur une couche atomique supérieure. Cette énergie d’excitation déduite de façon très précise nous permet ensuite de calculer la différence de rayon de charge entre les isotopes. Ce qui est compliqué, c’est qu’on ne connaît quasiment rien des propriétés atomiques de ces atomes très rares ! Or, l’énergie du laser nécessaire pour exciter les électrons de chaque atome diffère d’un isotope à l’autre, et elle nous est inconnue. Nous avons donc dû bombarder chaque noyau avec des photons sur une vaste gamme de longueurs d’ondes avant de trouver celle correspondant à l’isotope qui nous intéressait. Dans un second temps, un deuxième laser venait ioniser le noyau excité, en lui arrachant un électron. Grâce à la charge électrique de cet ion, il devenait possible de le transporter et de le détecter. » 

Des propriétés macroscopiques dominantes dans cette région

Ces mesures de différences de rayons de charge de huit isotopes de fermium ont mis en lumière une augmentation constante du rayon de charge à mesure qu’un neutron était ajouté au noyau, indiquant que les effets de couche nucléaire localisés à cet endroit de la charte des noyaux ont une influence très réduite sur les rayons de charge nucléaire de ces noyaux lourds, alors que de précédentes études statuaient que ces effets étaient très importants sur l’énergie de liaison de ces mêmes noyaux. Ces résultats confirment des prédictions théoriques obtenues par différents modèles qui semblent montrer que les effets dominants sont dus à l’ensemble des nucléons plutôt qu’à quelques protons ou neutrons.

 « Ce que nous voyons, c’est que le rayon de charge des isotopes de fermiums augmente tranquillement quand on ajoute des neutrons, sans influence visible des effets de couche, explique Nathalie Lecesne. Cette première observation des rayons de charge de noyaux très lourds nous éclaire donc sur la structure de ces systèmes très particuliers, bien que des études supplémentaires sur d’autres espèces soient requises afin de confirmer ou d’infirmer cette tendance ». 

Atteindre des noyaux de plus en plus rares 

Une aventure dans laquelle S3 pourra bientôt jouer un rôle déterminant. Au terme de sa mise en service dans quelques mois, le futur séparateur du GANIL sera en mesure de produire une large gamme de noyaux exotiques instables, ainsi que les très recherchés superlourds. Comme à GSI, S3 sera assorti d’une ligne basse énergie, S3LEB, comprenant une cellule gazeuse et un système de spectroscopie laser mais également un spectromètre de temps de vol pour mesurer leur masse et une station de décroissance, SEASON, pour étudier leur décroissance.  Cette technologie permettra de répliquer les succès obtenus auprès du séparateur SHIP pour l’étude de nouveaux noyaux très lourds et superlourds. « La perspective de S3, et en particulier l’instrument S3-LEB, qui se concentrera sur les noyaux superlourds, est très prometteuse pour ce champ de recherche. Le séparateur nous permettra d’atteindre des noyaux de plus en plus rares et de mener à bien des manipulations d’une complexité inédite », souligne Nathalie Lecesne.

Accéder à la publication sur le site de Nature : Smooth trends in fermium charge radii and the impact of shell effects.

Contact

Nathalie Lecesne
Chercheuse en physique nucléaire au GANIL
Marcella Grasso
IN2P3 deputy scientific director for nuclear and hadronic physics
Thomas Hortala
Chargé de communication