vue d'artiste du tetraneutron
Représentation d’un tetraneutron. L’observation sans ambiguïté de ce système composé de 4 neutrons, jette une lumière nouvelle sur les mécanismes de cohésion dans le noyau atomique ou les étoiles à neutrons. Crédit : CNRS/IN2P3

Un pas de plus vers l’observation du tetraneutron

Résultats scientifiques Physique nucléaire

Une structure de résonance compatible avec un tetraneutron quasi-lié a été observée par les scientifiques de la collaboration SAMURAI à RIKEN, au Japon, dans laquelle est impliquée une équipe du LPC Caen. Cette observation vient confirmer de premiers indices obtenus 20 ans plus tôt au GANIL et va forcer à reconsidérer les modèles de simulation de la cohésion des nucléons dans le noyau atomique.

Le neutron libre a un temps de vie de 15 minutes. Il est par contre stable lorsqu’il est lié dans les noyaux ou dans les étoiles à neutrons, objets compacts et denses composés majoritairement de neutrons et qui peuvent exister seulement grâce à la gravitation. À une échelle complétement différente de celle des étoiles à neutrons, une quête passionnante est poursuivie depuis plusieurs décennies, à la recherche de systèmes très légers composés uniquement de quelques neutrons.

Au début des années 2000, des mesures ont été réalisées au GANIL et les premières indications ont été publiées sur l’existence d’un petit agrégat composé de 4 neutrons : le « tetraneutron ». Il a été obtenu par la cassure du noyau 14Be en 10Be et un système de 4 neutrons. Un tel système neutre existe ? Si oui, est-il lié, même faiblement, ou s’agit-il d’une résonance ? Comment, si c’est le cas, l’interaction nucléaire permet-elle de lier ce système où les protons sont absents ? Des indications sur l’existence du tetraneutron, dans un état lié ou sous-forme de résonance quasi-liée, ont été obtenues au cours des années qui ont suivi, mais aucune certitude n’a été établie.

Une réaction de cassure fait apparaitre le tetraneutron

La même équipe du Laboratoire de Physique Corpusculaire de Caen (LPC Caen) responsable des mesures effectuées au GANIL il y a une vingtaine d’années, vient de participer, au sein de la collaboration SAMURAI, à la publication dans la revue NATURE des mesures réalisées auprès de la ‘Radioactive Ion Beam Factory’ à RIKEN au Japon. Il s’agit d’une réaction de cassure, 8He(p,p4He)4n, illustrée schématiquement dans la figure ci-dessous.

Image : DUER ET AL / NATURE 2022
Le proton de la cible éjecte une particule alpha (4He) du noyau projectile de 8He, en laissant imperturbables les 4 neutrons restants sous la forme d’un état résonant très corrélé. Image : DUER ET AL / NATURE 2022

Le proton de la cible éjecte une particule alpha (4He) du noyau projectile de 8He, en laissant imperturbables les 4 neutrons restants sous la forme d’un état résonant très corrélé. Une structure de résonance tout à fait compatible avec un tetraneutron quasi-lié a été en effet observée de manière très claire, après des décennies de quête expérimentale. L’énergie du tetraneutron a été reconstruite par un bilan énergétique de la réaction, avec la méthode dite de la masse manquante, en mesurant l’énergie du proton et de la particule alpha.

Améliorer la modélisation des systèmes nucléaires

Certaines études théoriques où l’interaction nucléaire est traitée de manière plus ou moins phénoménologique ont montré qu’un tetraneutron résonant pouvait exister, avec un temps de vie très court. Cependant, d’autres approches plus microscopiques dites ab-initio, c’est à dire formalisées à partir de l’interaction élémentaire entre les neutrons, ne prédisent pas une telle résonance. Ce résultat expérimental représente donc un défi important : s’il s’avère qu’il n’est pas possible d’expliquer autrement (que par l’existence d’un tetraneutron résonant) la forte corrélation observée récemment, la manière de construire l’interaction nucléaire dans les approches ab-initio devrait probablement être revisitée et formalisée dans un cadre un peu différent.

Ce résultat représente une étape importante qui permettra, entre autres, de tester la manière dont les physiciens nucléaires décrivent l’interaction entre les nucléons et d’améliorer par conséquent la modélisation des systèmes nucléaires, non seulement les noyaux, mais aussi la matière nucléaire infinie, système idéal infini composé de nucléons dont l’étude aide à la compréhension des propriétés des noyaux et des étoiles à neutrons.

En savoir plus

Publication : « Observation of a correlated free four-neutron system »  Nature volume 606, pages 678–682 (2022) M. Duer et al, collaboration SAMURAI (LPC Caen : N. L. Achouri, J. Gibelin, F.M. Marqués, B. Monteagudo, N.A. Orr, M. Parlog, A. Revel)

Article de synthèse sur la quête du tetraneutron : « The quest for light multineutron systems » , European Physical Journal A 57 (2021) 105. F.M. Marqués, J. Carbonell,

Contact

Miguel Marqués
Directeur de recherche au LPC Caen
Marcella Grasso
IN2P3 deputy scientific director for nuclear physics and applications
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication de l'IN2P3