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Le noyau de ⁴⁸Ca se transforme en ⁴⁸Ti lors d’une double décroissance beta : deux neutrons se transforment alors en protons avec émission de deux électrons. Crédit image : B. Alex Brown.

Double décroissance beta sans émission de neutrinos : une meilleure prise en compte de la complexité de la structure nucléaire promet d’améliorer sa prédiction

Physique nucléaire

L’observation de la double décroissance beta sans émission de neutrinos est une quête poursuivie par des scientifiques du monde entier. En effet, cette observation représenterait une percée majeure dans plusieurs domaines tels que la physique nucléaire, la physique des particules, la physique des neutrinos et la cosmologie. Une étape importante pour la description théorique de ce phénomène vient d’être franchie par des scientifiques d’IJCLab, en collaboration avec leurs collègues du LNS-INFN en Italie et de l’Université de Caroline du Nord aux USA. Leurs résultats sont publiés dans Physical Review Letters.

La double décroissance beta sans émission de neutrinos implique que les neutrinos soient égaux à leurs antiparticules, ce que les physiciens appellent des particules de Majorana. En physique des particules, la mise en évidence de ce phénomène montrerait l’existence d’une « nouvelle physique » au-delà du modèle standard, puisque cela impliquerait une violation de la conservation du nombre leptonique total. Cette décroissance particulière pourrait également être reliée à l’asymétrie entre matière et antimatière et aurait un grand impact en cosmologie.

Pour prédire la fréquence de cette désintégration, certaines quantités (que l’on appelle éléments de matrice nucléaires) sont nécessaires, qui ne peuvent être obtenues qu’à travers des calculs de structure nucléaire dans le cadre de modèles théoriques pour le traitement des systèmes à N corps. Malheureusement, jusqu’à aujourd’hui, les tentatives de prédiction à partir de simulations faites pour la douzaine de noyaux identifiés comme possibles sources de ce phénomène montrent des désaccords importants.

Des modèles théoriques mis à mal

Ces désaccords sont liés à la façon dont chaque modèle théorique appréhende la complexité de la structure nucléaire. La fiabilité de chacun d’eux peut néanmoins être mise à l’épreuve en testant leur capacité à bien décrire des modes d’excitation dits de Gamow-Teller, reliés à l’échange de charge au sein d’un noyau. Ces excitations gouvernent les probabilités de décroissance beta et sont accessibles expérimentalement avec des réactions nucléaires réalisées auprès d’accélérateurs.

Il s'avère que tous les modèles disponibles doivent recourir à des ajustements ad hoc pour reproduire ces données expérimentales. Dans le cas particulier du noyau 48Ca, qui est l’un des émetteurs possibles pour la double décroissance beta sans émission de neutrinos, le désaccord entre la mesure expérimentale et les prédictions théoriques disponibles du spectre d’excitation Gamow-Teller est même très fort.

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Figure 1 : Le noyau de ⁴⁸Ca se transforme en ⁴⁸Ti lors d’une double décroissance beta : deux neutrons se transforment alors en protons avec émission de deux électrons. Crédit image : B. Alex Brown.

Nouveau type de modèle

Récemment, une collaboration internationale a développé un nouveau modèle, qui permet un traitement réaliste du mouvement cohérent des nucléons au sein du noyau, dans le cadre des théories des fonctionnelles de la densité. Ces théories, couramment utilisées aussi en chimie et en matière condensée, sont conçues et développées pour le traitement des systèmes à N corps.

Ce modèle sophistiqué prend en compte explicitement le couplage entre des configurations complexes dans le noyau (reliées aux corrélations existantes entre les nucléons) qui étaient jusqu’ici négligées. Pour la première fois, la mesure expérimentale du spectre Gamow-Teller dans le noyau 48Ca a été reproduite sans ajustements (figure 2). Cette prouesse a été réalisée en collaboration entre des chercheurs de l’IJCLab à Orsay, du LNS-INFN de Catane en Italie et de l’Université de Caroline du Nord aux États-Unis.

Ces résultats, publiés récemment dans Physical Review Letters, sont une étape importante pour le calcul des éléments de matrice nécessaires à la double décroissance beta sans émission de neutrinos, qui sera le prochain défi de ce modèle théorique.

Graphique
Figure 2 : Panneau (a) : comparaison entre la mesure expérimentale d'excitation Gamow-Teller (GT) dans le noyau de ⁴⁸Ca et deux fonctions de réponse théoriques qui décrivent le même spectre d'excitation. Le spectre expérimental GT(-) (réaction d'échange de charge où un neutron se transforme en proton) est extrait de K. Yako et al., Phys. Rev. Lett.103, 012503 (2009) et est représenté par des points noirs. La fonction de réponse théorique obtenue dans cette nouvelle étude est appelée SSRPA et est représentée par une courbe bleue.  Pour comparaison, une fonction de réponse obtenue avec un modèle simplifié (dénommé RPA) est aussi incluse (pointillés rouges). Le panneau (b) montre les fonctions de réponses du panneau (a) (strength) intégrées (cumulées) jusqu’aux énergies d’excitation représentées dans l’axe horizontale. La figure est extraite de Phys. Rev. Lett. 125, 212501 (2020).

Ces résultats, publiés récemment dans Physical Review Letters, sont une étape importante pour le calcul des éléments de matrice nécessaires à la double décroissance beta sans émission de neutrinos, qui sera le prochain défi de ce modèle théorique.

Bibliographie

D. Gambacurta, M. Grasso, and J. Engel, “Gamow-Teller Strength in 48Ca and 78Ni with the Charge-Exchange Subtracted Second Random-Phase Approximation”, Phys. Rev. Lett. 125, 212501 (2020).

Pour en savoir plus

Actualités publiées par l’IN2P3 sur les expériences de la double désintégration beta sans émission de neutrinos :

Contact

Marcella Grasso
Directrice adjointe scientifique "Physique nucléaire et applications" (IN2P3)
Fanny Farget
Directrice adjointe du GANIL
Jennifer Grapin
Chargée de communication