LHC : L’accélérateur géant du Cern lancé à pleine puissance

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Run 3, un nouveau chapitre pour le LHC (2/4)

Au terme d’un arrêt de trois ans, le collisionneur géant du Cern dispose désormais d’une chaine d’accélération de ses particules entièrement revisitée. La nouvelle période d’exploitation qui s’ouvre au LHC verra le nombre de données recueillies par les expériences multipliées par 2 par rapport aux runs précédents, à la nouvelle énergie record de collision de 13,6 TeV. De quoi multiplier les chances de découvrir un nouveau continent physique inexploré. Plongée dans le complexe des accélérateurs du Cern.

Depuis le 22 avril dernier, des protons circulent à nouveau dans l’anneau de 27 kilomètres de circonférence du LHC, l’accélérateur géant du Cern, près de Genève. Après trois années d’arrêt pour maintenance, c’est le début du run 3 dont les physiciens et physiciennes attendent qu’il leur permette de lever une partie du voile qui recouvre les mystères de la matière élémentaire, révélés lors des collisions ultra énergétiques entre particules.

Plus précisément, en opération, dans l’anneau du LHC, près de 3 000 paquets de protons qui contiennent chacun plus de 100 milliards de particules circulent quasiment à la vitesse de la lumière dans un sens, et autant en sens inverse. Ainsi, toutes les 25 nanosecondes, deux paquets de protons se croisent au sein des détecteurs, chaque croisement provoquant quelques dizaines d’interactions entre protons d’où jaillissent de nouvelles particules emportant avec elles un message en provenance de l’infiniment petit.

L’entretien de cet incessant balai au tempo infernal est le fait des spécialistes des accélérateurs du Cern dont la tâche consiste à façonner, accélérer et entretenir les faisceaux de particules selon des prescriptions drastiques. Durant la phase de maintenance, ces physiciens et physiciennes, ingénieur·es et technicien·nes ont ainsi révisé et amélioré toute la chaine d’injection des protons dans le collisionneur. Au terme d’un chantier pharaonique, cette infrastructure incluant au total six systèmes d’accélération distincts pour les protons et les ions, se déployant sur plusieurs kilomètres est désormais prête à repousser ses propres limites. Durant le run 3, la quantité de particules contenues dans chaque paquet de protons sera en effet petit à petit multipliée par deux. De même, la densité des paquets sera augmentée continument avec à la clé un taux de collisions démultiplié.

Concrètement, c’est ainsi d’abord toute la première étape d’accélération du faisceau du LHC qui a été entièrement remplacée. Alors qu’anciennement le Linac2, datant des années 70, délivrait des particules d’une énergie de 50 MeV, son successeur, le Linac4, la porte à 160 MeV.

L'accélérateur linéaire 4 (Linac4) est devenu la source de faisceaux de protons du LHC en 2020. Image : Robert Hradil, Monika Majer/ProStudio22.ch

Ce triplement de l’énergie est directement en lien avec l’objectif final d’augmenter le taux des collisions dans le LHC. « Des particules chargées se repoussent les unes les autres, mais plus leur énergie cinétique augmente, plus le champ magnétique qu’elles engendrent s’intensifie, s’opposant d’autant plus à cette répulsion. Il est alors possible d’augmenter la densité des paquets dont dépend in fine le nombre d’interactions entre protons à chaque croisement », détaille Malika Meddahi, directrice adjointe des accélérateurs et de la technologie au Cern.

Pour s’acquitter de sa tâche, le Linac4 est composé de quatre structures accélératrices distinctes. La première, un quadripôle radiofréquence (RFQ) de haute intensité, confère à des ions d'hydrogène négatifs (H-, soit un atome d'hydrogène et un électron supplémentaire) leur première accélération en même temps qu’elle donne déjà au faisceau sa structure en paquets. « C’est déterminant dans la mesure où l’ensemble de l’accélération des particules est le fruit de cavités radiofréquences successives qui délivrent un champ électrique alternatif. Pour être accéléré, le faisceau doit donc être découpé en morceau dès sa création afin que les particules pénètrent dans chaque structure au moment précis où le champ est dans le sens adéquat. À l’inverse, un faisceau continu verrait ses différents tronçons alternativement accélérés et décéléré », précise Sébastien Bousson, directeur du pôle de physique des accélérateurs à IJCLab (Orsay).  

Au sein du tube du RFQ, cette première découpe est le fait d’un champ électromagnétique à la géométrie diabolique, elle-même dictée par la forme au cordeau d’une pièce en cuivre massif de plusieurs mètres de longueur. Comme l’explique Pierre Védrine, chef de département du Département des accélérateurs, de cryogénie et de magnétisme du CEA Paris Saclay, dont les équipes, avec celles du CNRS, ont participé au design de ce RFQ, « il s’agit d’une pièce difficile à concevoir et délicate à usiner dans la mesure où il s’agit de garantir cette forme à quelques dizaines de microns près sur une très grande distance. »

Sortis du RFQ, les ions H- traversent ensuite trois autres structures radiofréquences plus classiques, mais pour autant « à l’état de l’art, admire Sébastien Bousson qui ajoute en connaisseur : le choix de ces structures est le fruit d’une optimisation fine en terme de principe, de design et de coût, liée au fait que dans cette première phase d’accélération, la vitesse des ions, encore loin de celle de la lumière, varie énormément. Au final, le Linac4 est une machine impressionnante en terme d’énergie et d’intensité. Elle a de plus été conçue, fabriquée et mise en route avec le niveau de fiabilité et de performances requises dans les temps, ce qui est une véritable performance. »

Complexe des accélérateurs du CERN en janvier 2022. Image: CERN

Passé le Linac4, les ions H- sont ensuite acheminés vers un amplificateur, le PSB pour Proton Synchrotron Booster, via une chaine d’injection très innovante où ils sont débarrassés de leurs deux électrons, de sorte que ne subsistent que des protons. Complètement remanié durant l’arrêt, cet ensemble de quatre synchrotrons superposés de 157 mètres de circonférence accélère alors les protons jusqu’à 2 GeV contre 1,4 dans sa version précédente. « Nous avons notamment changé la totalité des systèmes d’injection et d’extraction, le système de cavités accélératrices, le système d’alimentation de puissance pour les aimants en adéquation avec l’énergie accrue des faisceaux et le système de refroidissement, énumère Malika Meddahi. L’ensemble des aimants ont par ailleurs été changés ou rénovés, de même qu’a été revu le système d’instrumentation du faisceau et les systèmes d’absorbeurs de faisceaux indésirables. »

PS ? Il s’agit de l’étage d’accélération suivant, soit un synchrotron à protons (Protons Synchrotron) de 628 mètres de circonférence où les protons sont poussés jusqu’à 25 GeV avant d’être injectés dans le SPS, ou supersynchrotron à protons de 7 kilomètres de circonférence. L’énergie des particules atteint alors 450 GeV avant injection dans l’anneau du LHC.

Plus précisément, les paquets de protons sont injectés par deux ou par quatre au sein du PS, qui deviennent ensuite quatre trains de 72 paquets dans le SPS et pour finir 10 trains de 288 paquets dans l’accélérateur géant où leur énergie sera finalement portée de 450 GeV à 6,8 TeV. « La situation nominale est atteinte au terme d’une séquence d’environ une heure durant laquelle, tout au long de la chaine d’injection, les protons sont accélérés petit à petit en même temps que des manipulations radiofréquences complexes donnent sa forme et son tempo au faisceau en une succession de fusions et de scissions des paquets », décrit Malika Meddahi.

Comme les premiers étages de la chaine d’injection, le PS et le SPS ont subi une véritable cure de jouvence. Ainsi, la totalité des aimants correctifs du PS, qui permettent de conserver la brillance des paquets de protons dans l’anneau, ont été changés. Les anciens dataient de 1959. Par ailleurs, le système d’accélération radiofréquences et le système d’instrumentation du faisceau ont été améliorés et/ou changés.

De même, la totalité des installations radiofréquences du SPS ont été changées afin de les adapter à un faisceau plus brillant. Quant à la surface interne des chambres à vide de l’accélérateur dans les zones critiques, elle a été entièrement recouverte d’une couche de carbone amorphe afin de réduire au minimum l’interaction entre le faisceau et les parois et, ce faisant, limiter les pertes. « Nous avons regardé élément par élément comment gagner pour améliorer les caractéristiques du faisceau », fait remarquer la physicienne.

Une fois injectés et accélérés dans l’anneau de 27 kilomètres du LHC, les faisceaux tournent pendant environ huit heures à raison de 11 245 tours par seconde. Leur qualité dégradée par les croisements successifs, ils sont enfin libérés de leur trajectoire circulaire pour aller percuter un énorme bloc de graphite de 8 mètres de long placé dans un tube en acier inoxydable de 12 millimètres d’épaisseur, le tout enchâssé dans un blindage de fer de 7 tonnes rempli d’azote gazeux.

Et pour cause, durant les deux premières campagnes de prise de données du collisionneur, ses faisceaux renfermaient une énergie de 320 mégajoules, soit celle d’un TGV lancé à 150 km/h. Si bien qu’après 10 années à encaisser les chocs, les absorbeurs ont fini par montrer quelques signes de fatigue qui ont obligé les personnels du Cern à revoir notamment le système de support. D’autant plus que durant le run 3, l’énergie des faisceaux atteindra 555 mégajoules, faisant grimper la température des absorbeurs à 1 500 °C en 100 microsecondes, contre 1 000 °C auparavant.

De même, l’arrêt de faisceau du SPS a de son côté été changé afin de « tenir » le concentré de protons produit par la nouvelle chaine d’injection. C’est simple, l’ancien n’aurait pas pu supporter les intensités concentrées dans un volume encore plus petit qui deviendront la norme à la fin du run 3. Quant au nouveau, composé d’un assemblage de graphite, de molybdène et de tungstène entouré de béton et d’un blindage en fonte et en marbre, d’une longueur de 9 mètres, il a nécessité la modification de 150 mètres de tunnel de l’accélérateur pour l’installation des aimants de déflexion rapides capables de dévier et de diluer le faisceau, y compris en cas d’urgence.

Alors que depuis le début de l’année, chacun des systèmes de l’accélérateur et de sa chaine d’injection sont les uns après les autres remis en route sans anicroche, plus rien ne s’oppose à ce que les collisions entre protons reprennent bientôt à une énergie et une fréquence inédites. De quoi placer les physiciens et physiciennes, qui sait, devant la perspective de découvertes tout aussi fantastiques.

Mathieu Grousson (les Chemineurs)

La chaîne des accélérateurs du CERN en images (activer les sous-titres)

Améliorations apportées à la chaîne des accélérateurs du CERN pendant le 2e arrêt technique du LHC. ©2022 CERN

Audiodescription

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Technicien au travail à l'intérieur du tunnel LHC au point 6 du LHC

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Diverses vues du dernier accélérateur du CERN, Linac4 (Linear Accelerator 4), qui a remplacé l'ancien Linac2 au début de la chaîne d'accélérateurs interconnectés du CERN.

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L'interconnexion du Linac4 au Proton Synchrotron Booster (PSB)

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Installation d'un nouvel aimant dans le tunnel PSB

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Connexion du PSB au synchrotron à protons (PS)

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Entrée dans le tunnel du PS

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Remplacement du système de radiofréquence (accélérateur) du PSB

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Installation de l'aimant de déflexion rapide du PS

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Intérieur du tunnel du Super Synchrotron à Protons (SPS)

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Le nouveau système d'accélération SPS à amplificateur à semi-conducteurs développé par le CERN avec la société Thales Gérac. Il est composé de 32 tours dans lesquelles se trouvent 2560 modules radiofréquence contenant chacun quatre transistors.

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Déplacement à l'intérieur du tunnel du LHC le long d'une série d'aimants dipôles supraconducteurs (bleus) puis d'aimants quadripôles (blancs).

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Fermeture d'un des 1200 aimants dipôles du LHC

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Remplacement des diodes et mise à niveau de l'installation électrique de l'un des 1200 aimants dipôles du LHC. L'opération a été effectuée sur tous les aimants

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Transport et installation à l'intérieur du tunnel du LHC d'un des dumps de faisceaux externes consolidés.

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Augmentation de la puissance d'une des installations cryogéniques du LHC en surface et à l'intérieur du tunnel du LHC.

Une série sur le run 3 du LHC en quatre épisodes

À l'occasion du redémarrage du LHC au Cern, Ies laboratoires de l'IN2P3 et l'Irfu, acteurs français du LHC au CERN, vous proposent une série en 4 volets pour faire le tour des améliorations de la machine et de ses détecteurs, ainsi que des enjeux scientifiques de cette nouvelle période. Enjeux scientifiques du run3, aspects techniques et jouvences de la chaîne d'accélération et du collisionneur LHC et défis de calcul y seront abordés. 

- Épisode 1 : Au Cern, les scientifiques reprennent l’exploration des origines de l’Univers

- Épisode 2 : LHC : L’accélérateur géant du Cern lancé à pleine puissance

- Épisode 3 : Détecteurs LHC : des particules suivies à la trace

- Épisode 4 : Une avalanche de données en perspective au LHC

Contact

Perrine Royole-Degieux
Chargée de communication (IN2P3)
Sophie Kerhoas-Cavata
Responsable de communication (CEA Irfu)
Laurent Vacavant
Directeur adjoint scientifique "Particules et Hadronique" (IN2P3)