Vladimir Manea, physicien nucléaire, médaillé de bronze du CNRS 2025
Expérimentateur en physique nucléaire, Vladimir Manea est chercheur au Laboratoire de physique des 2 infinis - Irène Joliot-Curie (IJCLab) et lauréat 2025 de la Médaille de bronze du CNRS. Spécialiste des techniques de spectroscopie de très haute précision, il s’intéresse à la physique des noyaux rares, instables, dont les propriétés offrent un accès aux lois qui gouvernent les interactions entre nucléons au sein de la matière nucléaire. Lors de sa thèse auprès de l’expérience ISOLTRAP, au CERN, ce chercheur a montré tout l’intérêt d’associer différentes techniques de mesure, notamment la spectrométrie de masse à temps de vol et la spectrométrie laser. C’est avec la même logique qu’il a participé ensuite au développement de l’expérience S3-LEB, dont il est désormais le responsable du programme scientifique. Il est par ailleurs « Principal Investigator » du projet ANR Jeune Chercheur FRIENDS3, qui vise à rendre accessible à l’expérience les noyaux dont la durée de vie est la plus courte. Instrumentaliste reconnu sur la scène mondiale, Vladimir Manea souligne l’importance de cultiver une vision large au service de la recherche des fondements de sa discipline.
« Les premiers tests sur des noyaux radioactifs sont prévus pour 2026. Si les résultats sont au rendez-vous, je crois que le reste marchera, résume Vladimir Manea, ajoutant : C’est un moment important pour moi et pour notre collaboration scientifique… » Dans quelques mois, le responsable scientifique de S3-LEB, spécialiste des interactions entre nucléons au sein des noyaux atomiques, saura si la plateforme expérimentale à laquelle il a contribué depuis près de sept ans fonctionne comme prévu. Dédiée à des expériences de très basse énergie, elle constitue un élément essentiel de l’instrumentation déployée pour tirer parti de SPIRAL2, l’accélérateur d’ions lourds de nouvelle génération du GANIL. Un dispositif avec lequel réaliser des mesures d’une finesse inégalée sur les noyaux les plus exotiques, là où se dessinent les frontières de notre compréhension de la matière nucléaire.
Très jeune, ce physicien témoigne avoir été « impressionné par cette image du scientifique entièrement dévoué à la résolution d’importantes questions. » Durant ses études à l’Université de Bucarest, il s’intéresse un temps à l’optique. Mais opte rapidement pour la physique nucléaire qui répond plus naturellement à son souhait d’étudier à l’étranger et de travailler au sein de grandes collaborations internationales. Sur le fond, sa curiosité le pousse à s’intéresser aux fondements. Comme il l’explique, « si nous commençons à bien comprendre les interactions entre particules élémentaires, cela n’est pas suffisant pour décrire les propriétés du noyau atomique pour lequel il n’existe pas, encore aujourd’hui, de modèle unique. » Se sentant au départ une « âme » de théoricien, il se tourne néanmoins rapidement vers l’expérience, la plus directe façon selon lui d’apporter des réponses.
Mesure ultra-précise de la masse de noyaux atomiques
Doctorant dans le cadre de l’expérience ISOLTRAP, au CERN, Vladimir Manea consacre ainsi sa thèse à la mesure ultra-précise de la masse de noyaux atomiques, un travail récompensé du prix de Thèse Springer en 2015. Pour ce faire, le jeune chercheur participe à la mise en place et à l’exploitation d’un piège électrostatique à réflexions multiples (MR-ToF), une technique spectroscopique basée sur une mesure de temps de vol. En parallèle, il contribue à plusieurs campagnes de mesures conjointes avec une équipe spécialisée en spectroscopie laser. « Dans un contexte expérimental extrêmement porteur, je me suis beaucoup impliqué pour faire valoir l’intérêt de tirer parti des avantages de différentes techniques », témoigne-t-il. Convaincu du bien-fondé d’une telle approche « plurielle », Vladimir Manea, déjà expert de la technique MR-ToF, parfait par la suite ses compétences en spectroscopie laser. C’est ainsi que lors de son post-doc en 2018, puis à la suite de son recrutement au CNRS l'année suivante, il s’implique dans la préparation de la plateforme S3-LEB, au GANIL, et participe aux activités laser de la plateforme ALTO de son laboratoire.
Parmi les faits marquants à son crédit : l’obtention, en 2022, du premier faisceau stable d’erbium ionisé par laser dans la cellule gazeuse de l’installation, où les noyaux rares d’intérêt pour la physique seront arrêtés et extraits avant mesures. « Dès lors nous sommes passés du développement instrumental à la phase opérationnelle », s’enthousiasme l’expérimentateur. Depuis 2021, celui-ci est également le « Principal Investigator » du projet ANR Jeune Chercheur FRIENDS3 qui vise à la mise au point d’un nouveau type de cellules gazeuses permettant d’accélérer l’extraction des noyaux, de quoi rendre accessible à l’expérience notamment les noyaux les plus déficients en neutrons, dont le temps de vie est inférieur à 100 ms. « Notre banc d’essai est prêt, nous allons bientôt le mettre en œuvre au GANIL pour des tests », précise Vladimir Manea.
L'encadrement et l’éducation sont cruciaux dans nos domaines
Alors que des échéances cruciales approchent pour lui, le scientifique évoque le temps long de la préparation des expériences dans son domaine : « Je passe plus de temps à développer et implémenter des instruments qu’à répondre à de grandes questions, c’est inévitable ! » En parallèle, il souligne son plaisir à parfois passer une journée à résoudre un micro-problème : « Cela offre une satisfaction immédiate et permet par ailleurs de garder le contact avec chacun des aspects d’un projet. Il ajoute : la compétition scientifique oblige à une grande spécialisation, mais il est également très important d’avoir une vision globale de ce que l’on fait, c’est indispensable pour conserver son indépendance. » Cette conviction, Vladimir Manea la partage volontiers avec les nombreux étudiants, notamment doctorants, qu’il a formés depuis son séjour au CERN. « J’ai très tôt réalisé que l’encadrement et l’éducation étaient cruciaux dans nos domaines qui demandent de la patience et des compétences aussi bien expérimentales que théoriques », témoigne-t-il. Aussi, à quelques mois du démarrage du S3-LEB, et alors qu’il sent la montée en pression, le spécialiste formule un double vœu : « avoir la satisfaction de voir cette formidable installation fonctionner, et apporter un petit quelque chose à notre compréhension de la matière. »
Auteur : Mathieu Grousson (agence Les chemineurs)