Vladimir Gligorov, physicien des particules, médaillé d'argent du CNRS 2025

Distinctions

Chercheur au Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies (LPNHE), Vladimir Gligorov est expérimentateur en physique des particules et lauréat 2025 de la Médaille d’argent du CNRS. Expert en analyse temps réel, il est depuis une quinzaine d’années un des piliers de l’expérience LHCb, actuellement en cours auprès du LHC, l’accélérateur géant de particules du CERN. Outre ses contributions à la physique de l’asymétrie matière/antimatière ou à l’étude des désintégrations rares de particules contenant un quark beauté, le physicien a joué un rôle de premier plan dans la définition et l’évolution du système qui permet la sélection des événements d’intérêt physique parmi la myriade de collisions qui se produisent dans le détecteur. Au sein d’une collaboration regroupant plus d’un millier de personnes, Vladimir Gligorov insiste sur l’importance du travail en équipe, mettant surtout en avant son rôle de rassembleur de la communauté à l’origine du système d’analyse temps réel fondé sur l’emploi de cartes graphiques GPUs, actuellement à l’œuvre auprès de LHCb.

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu faire de la science. J’ai choisi la physique qui me semble répondre aux questions les plus fondamentales.
Dans les grandes expériences, la différence entre le succès et l’échec tient beaucoup à la capacité à convaincre, organiser et pérenniser.

« J’aurais bien aimé faire de la théorie, mais je n’avais pas le niveau en maths. Je me suis demandé ce que je pouvais apporter, ce qui m’a conduit à faire le choix de l’expérimentation ! », raconte Vladimir Gligorov. Grand bien lui en a pris : depuis une quinzaine d’années, ce physicien est un des piliers de l’expérience LHCb, actuellement en cours auprès du LHC, l’accélérateur géant de particules du CERN. Une expérience dont il a contribué à analyser les données et dont il a surtout façonné le système d’analyse en temps réel qui permet de sélectionner les événements les plus intéressants parmi les dizaines de millions de collisions produites chaque seconde au cœur du détecteur. Comme il le résume, « LHCb voit la production de 32 terabits de données par seconde dont on ne peut conserver que 10 gigabits. Comment choisir ? C’est la question qui m’a occupé pendant 16 ou 17 ans. »

Révéler une légère asymétrie entre matière et antimatière

LHCb, le chercheur né en ex-Yougoslavie y est arrivé par hasard. Au cours de ses études, en Angleterre, un stage sur la fusion nucléaire, thématique qu’il ne juge pas assez fondamentale ; Un projet de thèse sur les neutrinos, au Canada, mais qui n’aboutit pas… faute d’avoir le permis de conduire ! Ce sera donc Oxford où il contribue à préparer cette expérience dédiée à l’étude des particules contenant un quark beauté, en lien avec la disparition de l’antimatière dans l’univers. « La techno pour la techno ne m’intéresse pas, précise-t-il. La finalité c’est de répondre à des questions de physique. » Ainsi, côté analyses, Vladimir Gligorov est sur plusieurs fronts. Au cours de sa thèse, soutenue en 2008, puis durant les années qui suivent, sous contrat avec le CERN, il étudie des réactions susceptibles de révéler une légère asymétrie microscopique entre matière et antimatière. En parallèle, il contribue à la découverte de nouvelles particules hadroniques. Puis, à partir de 2016, suite à son recrutement au CNRS et l’obtention d’une bourse ERC Consolidator, il introduit une nouvelle manière de prendre en compte le bruit de fond pour l’analyse de désintégrations rares permettant de tester les éventuelles limites du modèle standard, l’actuelle théorie des particules élémentaires. « Une fois que ça marche, je n’aime pas trop refaire deux fois la même chose », glisse le spécialiste. 

À la tête d’une équipe d’une centaine de personnes de dix pays

Côté technique, son apport majeur concerne sa contribution au long cours au système de sélection des évènements qui conditionne l’enregistrement, ou pas, des données produites dans le détecteur. Ainsi, dès 2010, Vladimir Gligorov participe à la mise en service du déclencheur dit de haut niveau (HLT) et à la création d’une stratégie optimisée pour son fonctionnement. Mais c’est dans la préparation et la mise en œuvre des deuxième et troisième sessions de prise de données, les « run 2 et 3 », qu’il s’illustre, repensant le HLT afin de prendre en compte la calibration et l’alignement du détecteur en temps réel pour une reconstruction « en ligne » des évènements. Sur ce travail, au-delà des aspects techniques, Vladimir Gligorov insiste pour que soit citée la physicienne Silvia Borghi : « Sans elle, tout ça n’existerait pas. » D’une façon générale, il met en avant l’importance du collectif et la nécessité de rassembler des compétences hétérogènes. Ce qu’il s’emploie à faire dans ses nombreuses responsabilités, en particulier comme chef du projet Real-Time Analysis de LHCb entre 2018 et 2022. 

Pour faire face à une multiplication par six du nombre de collisions au sein de LHCb, à quoi s’ajoute l’analyse en temps réel de la totalité de l’information déposée sur l’ensemble de ses détecteurs, l’expert, à la tête d’une équipe d’une centaine de personnes de dix pays, repense la totalité du paradigme d’analyse. Concrètement, il supervise le développement d’un cadre logiciel implémenté sur des cartes graphiques GPUs, adaptées à une analyse combinatoire en parallèle de milliers de collisions. « C’est ma post-doc Dorothea vom Bruch qui a eu l’idée, précise-t-il. Je n’étais pas convaincu, mais elle est tellement exceptionnelle que je me suis dit qu’il fallait la laisser essayer. Et ça a marché ! » Et le physicien de citer deux autres de ses anciennes étudiantes : Christina Agapopoulos et Marianna Fontana, ajoutant : « les jeunes chercheuses et chercheurs qui ont travaillé avec moi, c’est eux mon bilan ! » Pour sa part, Vladimir Gligorov a néanmoins lui-même défini l’architecture permettant de faire travailler sur les mêmes serveurs les GPUs et les cartes FPGA qui servent à l’agrégation des données de chaque collision. « Est-ce que l’idée est sortie de ma bouche ou de celle d’un de mes collègues ? Elle est sortie d’une discussion ! », plaisante-t-il sérieusement. 

En mouvement vers l’expérience Hyper Kamiokande

Alors que le run 3 du LHC accumule des données jusqu’à la fin de l’année, avant un arrêt prolongé qui verra les performances de l’accélérateur démultipliées, Vladimir Gligorov confie avoir besoin de souffler un peu. Depuis l’année dernière, il n’a plus de responsabilité officielle, tout en encadrant deux étudiants qui planchent sur la reconstruction d’événement dans LHCb à l’aide de l’intelligence artificielle. Dans le même temps, il amorce un mouvement vers l’expérience Hyper Kamiokande, dédiée à l’étude de l’asymétrie entre matière et antimatière dans les neutrinos, actuellement en cours de mise en place au Japon.  « J’explore la liberté qui m’est offerte », conclut-il, le souffle vite repris !

Auteur : Mathieu Grousson (agence Les chemineurs)

Contact

Laurent Vacavant
Directeur adjoint scientifique "Physique des particules" (CNRS Nucléaire & Particules)
Emmanuel Jullien
Responsable du service communication CNRS Nucléaire & Particules