Michaël Winn, chercheur en physique hadronique, médaillé de bronze du CNRS 2025
Expérimentateur en physique hadronique, spécialiste du plasma de quarks et de gluons (PQG), et de l’interaction forte entre particules élémentaires, Michael Winn est chercheur à l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’univers (Irfu) du CEA et lauréat 2025 de la médaille de bronze du CNRS. Depuis son doctorat, récompensé par le Prix de thèse 2016 de la collaboration ALICE, il explore toutes les facettes de cet état extrême de la matière, avec une prédilection pour l’analyse des données expérimentales et des développements à l’interface avec la théorie. Travaillant auprès des expériences ALICE et LHCb, ses contributions portent sur la détermination du contenu en gluons des projectiles qui formeront le PQG à l’issue des collisions ; les processus qui conduisent à l’établissement du plasma ; et le reconfinement des briques élémentaires au sein de particules hadroniques. Impliqué dans les réflexions sur le futur de la physique des particules, il plaide aussi pour une intégration des enjeux sociétaux dans sa discipline.
« J’ai choisi la physique du fait d’une certaine fascination pour la précision qu’elle permet dans la description du monde », confie Michael Winn, spécialiste du plasma de quarks et de gluons ou PQG. PQG ? Au sein de cet état extrême de la matière, les constituants élémentaires qui forment les protons et les neutrons sont libres de se déplacer. Essentiel pour comprendre en détail les propriétés de l’interaction nucléaire forte, le PQG correspond également à l’état dans lequel se trouvait l’univers quelques microsecondes après le Big-Bang. Pour le créer, les spécialistes font entrer en collision au LHC, l’accélérateur géant du Cern, des noyaux de plomb. A la clé, un concentré d’énergie cinétique d’où émerge un mini-univers primordial qui s’évapore quasi instantanément dans une gerbe de particules. Depuis sa thèse effectuée auprès du détecteur ALICE et soutenue en 2016, Michael Winn n’a eu de cesse d’étudier tous les aspects de la physique du PQG à laquelle il a apporté des contributions majeures.
Un goût prononcé pour la théorie
Expérimentateur, le physicien nourrit un goût prononcé pour la théorie qui permet de tirer les fils d’un objet qui ne se donne à voir qu’au travers de ses produits de désintégration. « C’est une physique d’une grande complexité et d’une très grande richesse, qui emprunte à la physique des particules, à la physique nucléaire, mais également à la physique de la matière condensée et à l’hydrodynamique », détaille-t-il. Cette complexité étant posée, le chercheur à la double culture allemande et française met en avant son attrait pour l’élucidation des ingrédients fondamentaux sans lesquels toute compréhension fine des phénomènes est illusoire. C’est le sens des travaux qu’il a menés lors de son post-doc, réalisé auprès de l’expérience LHCb, entre 2016 et 2018, qu’il cite comme les plus marquants de sa carrière.
Grâce à la grande précision de ce détecteur, Michael Winn a alors mesuré des observables permettant de comparer le nombre de gluons présents au sein d’un noyau de plomb et d’un proton. Or, comme il le précise, « de cette information dépend la compréhension de toute la réaction à suivre. » Si bien que ces résultats font aujourd’hui partie du socle de base sur lequel s’appuie la plupart des études du PQG. Sur le même thème, le physicien poursuit ses travaux depuis son recrutement au CEA en 2018. En 2023, il a ainsi montré la faisabilité de mesures au LHC permettant d’observer comment, à très haute énergie, selon le phénomène dit de « saturation », les gluons présents au sein d’un proton fusionnent les uns avec les autres.
En parallèle, dans une série de trois articles dont le dernier est paru l’année dernière, Michael Winn a montré avec ses collaborateurs comment en analysant des paires de muons issues de la « désintégration » du plasma, il est en principe possible de remonter aux processus qui lui ont donné naissance. Comme il l’explique, « on sait qu’un PQG est une sorte de fluide parfait, c’est-à-dire sans viscosité, mais on ne sait pas pourquoi, ni comment, ni dans quelles limites. » Pour lever le voile, il faudra néanmoins patienter jusqu’à la mise en service d’une version améliorée du LHC et de ses détecteurs, au début des années 2030. Ce qui n’empêche pas le chercheur de voir encore plus loin, réfléchissant à la manière dont un hypothétique futur grand accélérateur, à l’horizon du milieu du siècle, permettra d’étudier en détail la manière dont quarks et gluons se reconfinent au sein de particules hadroniques après « l’extinction » du plasma. En attendant, Michael Winn s’enthousiasme de « toute la physique intéressante à faire avec les données disponibles ou qui le seront dans les prochaines années, notamment en analysant les collisions proton-proton. »
Préparer la suite
C’est ainsi un pied dans le présent, l’autre le projetant vers l’avenir de sa discipline que le scientifique conçoit son activité. Avec la conscience aiguë que la physique hadronique nécessite des infrastructures coûteuses, d’envergure mondiale, pour des expériences s’étalant sur plusieurs décennies. Aussi est-il engagé depuis plusieurs années dans les réflexions collectives pour préparer la suite. Tout jeune chercheur, il a été le contact LHCb pour la physique du PQG dans le cadre de la rédaction du « Yellow Report » sur le LHC haute luminosité, publié en 2019. De même, il est l’un des trois coordinateurs du GDR interaction forte. Enfin, depuis l’année dernière, il est un de trois coordinateurs du groupe QCD et collisions d’ions lourds pour la contribution française à la mise à jour de la Stratégie européenne de la physique des particules.
Au-delà, Michael Winn met en avant l’importance de l’enseignement : « Cela permet un retour sur sa propre pratique, en même temps que de former des jeunes gens qui, s’ils ne travailleront pas tous dans la recherche, contribueront à la diffusion de la culture scientifique. » Un enjeu d’autant plus crucial que, pour lui, les choix scientifiques doivent rester connectés aux préoccupations de la société, en même temps que les problématiques sociétales doivent investir le monde académique. Très concrètement, le chercheur est ainsi actuellement l’un des deux responsables seniors de l’ECGD (Early Career, Gender & Diversity), une instance en charge des questions d’égalité hommes-femmes au sein de la collaboration LHCb. Au-delà du plasma de quarks et de gluons, une question de vision du monde !
Auteur : Mathieu Grousson (Agence les Chemineurs)