Laurence Caillat, ingénieure qualité, médaillée de cristal du CNRS 2025
Ingénieure qualité au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM), Laurence Caillat fait partie de celles et ceux que l’on met rarement en lumière d’un projet. A tort ! Car en s’assurant que les produits sont bien conformes aux exigences de performances, de fiabilité, de résistance ou de sécurité qu’ils doivent respecter, en documentant soigneusement ce qui a été fait, en insufflant en somme de la rigueur dans la créativité scientifique, elle construit le cadre invisible qui assure le succès des projets en environnement extrême. Que ce soit Antares ou KM3Net, pour détecter des neutrinos au fond de la Méditerranée, ou le télescope spatial Euclid. Un accompagnement indispensable dont elle s’acquitte avec pédagogie, passion, et surtout goût du terrain au contact des équipes, la tête dans les étoiles et les embruns.
De Strasbourg à Marseille, difficile de faire plus extrême comme choc de cultures. Mais Laurence Caillat - d’origine ni alsacienne ni provençale – n’est pas du genre à refuser un défi. C’est avec la même rigueur et la même chaleur qu’elle a joué son rôle d’ingénieure qualité à l’IPHC (Institut pluridisciplinaire Hubert-Curien) de Strasbourg et au Centre de physique des particules de Marseille (CPPM). Sa mission ? S’assurer que les processus sont bien maîtrisés, et que les appareils ont la fiabilité, la résistance et l’efficacité attendues, que ce soient des photodétecteurs sous la mer ou des capteurs dans l’espace.
Avouons-le, son métier reste méconnu, et rarement mis en avant. Elle-même en avait au départ une vision négative. « J’avais l’image de l’empêcheur de tourner en rond », reconnaît-elle. Elle ne doit qu’aux hasards d’une vie de l’occuper aujourd’hui. Bac en poche, elle voulait être pharmacienne. Deux échecs au concours plus tard, elle entame des études universitaires en ingénierie de la santé à Montpellier. Elle s’y frotte aux aspects hygiène, sécurité, prévention des risques et radioprotection, qu’elle approfondit d’un DESS à Marseille en prévention des risques et nuisances technologiques. Elle n’évite pas la case chômage : « A l’époque, dans ce domaine, c’était surtout le BTP qui embauchait. Très souvent on m’a dit : si vous étiez un homme, nous vous embaucherions, mais nous ne voulons pas prendre le risque d’embaucher une femme pour gérer une équipe d’hommes ».
Une main de fer dans un gant de velours
Sa mère, au bureau du personnel du CNRS à Grenoble, la prévient qu’un poste s’ouvre en hygiène sécurité. Elle ne l’aura pas. Mais elle est contactée par l’Institut de recherche subatomique de Strasbourg (IRES, aujourd’hui IPHC), qui offre une place similaire à condition qu’elle rajoute une démarche qualité à son arc. Elle est embauchée en 1999. «J’y ai monté une des premières démarches d'accréditation pour la mesure de la radioactivité dans l'environnement. Nous partions de zéro. Il a fallu réagencer le laboratoire pour que les analyses ne polluent pas les échantillons, mettre en place une gestion documentaire, tout noter, et expliquer pourquoi nous faisions tout ça », se souvient-elle. Laurence Caillat s’improvise pédagogue. S’impose aussi, quand c’est nécessaire : « Mon responsable disait que j'étais une main de fer dans un gant de velours ! » En 2024, l’accréditation par le Cofrac est obtenue.
Dans ce milieu encore masculin, elle ne rencontre pas d’obstacle en tant que femme. « La difficulté était plutôt de m’intégrer dans la culture très alsacienne du laboratoire à l’époque, moi qui n’était qu’une « française de l’intérieur », comme ils disaient. Originaire de Grenoble, étudiante à Montpellier puis Marseille, et en couple avec un Breton, il m’a fallu faire preuve de patience pour me faire adopter par l’Alsace », en rit-elle aujourd’hui. L’intégration sera plus rapide à Marseille, ville cosmopolite où elle mute en 2004. Elle devra toutefois composer avec l’esprit latin, qui s’accommode d’une interprétation parfois plus élastique des règles. Elle y déploie son style, d’une rigueur « ronde », « sans rigidité », en phase avec ce milieu si exotique de la recherche, dans lequel sa fonction ne va pas de soi. Les chercheurs aiment repousser les limites, pas suivre des normes. « Mais un instrument doit répondre à des critères bien définis. Mon travail est de les recenser, puis garantir que le produit atteint bien tous ces objectifs. Concrètement, ça veut dire par exemple bien gérer la documentation du projet, et en tracer toutes les opérations. » Elle analyse les risques, accompagne la sélection des matériaux, s’appuie sur ceux qui sont sensibles à la démarche qu’elle a mission d’insuffler. « Le scientifique craint qu’on bride sa créativité. Je veux juste lui mettre un cadre », explique-t-elle. Un cadre qui permet de justifier les choix techniques, d’analyser les problèmes et qui facilite la transmission des savoirs, pour des projets dont le temps se compte souvent en décennies.
Des détecteur sous-marin de neutrinos au télescope spatial Euclid
Elle aime expliquer, mais surtout s’investir sur le terrain. Humer les embruns de la Méditerranée lorsqu’il s’est agi d’aller poser à 2 500 mètres de fond, au large de Toulon, les lignes de détection du télescope sous-marin de neutrinos Antares. Une première mission gravée dans ses souvenirs. « La COMEX, notre partenaire, avait mobilisé le robot sous-marin Victor. J’étais sur le bateau pendant que le robot déployait notre matériel. Nous suivions les opérations sur un écran, c’était magique. Le robot connecte la ligne. Après quelques tests de l’équipe à terre, ça marche, les modules captent la lumière, et tout le monde explose de joie ! »
Elle enchaîne en 2012 avec le successeur d’Antares, cinquante fois plus grand, KM3Net, et la plateforme LSPM qui gère l’infrastructure sous-marine de connexion. Nouveau défi : ne pas exploser le budget. Elle participe aussi, à partir de 2011, comme responsable assurance produit, à la construction du télescope spatial Euclid, le CPPM étant chargé de caractériser les détecteurs infrarouges livrés par la Nasa puis de les intégrer sur le plan focal de l’instrument. « Il a fallu concevoir une salle propre et sensibiliser les opérateurs à ce milieu contraignant, mettre en place les procédures, faire attention à l’électricité statique, aux contaminations par des particules... » Un travail éprouvant dans un domaine – le spatial – où des normes strictes doivent être appliquées à la lettre.
Elle s’est attelée, depuis 2020, à un dernier grand projet : participer à la construction d’Atlas ITK, un détecteur prévu pour la mise à jour du grand accélérateur de particules LHC du CERN, dans lequel le CPPM est impliqué. « Sur ce projet, j’ai convaincu que c'était bien d'enregistrer tout ce qui ne se passait pas comme prévu, pour ne pas refaire les mêmes erreurs. Nous avons mis en place un outil de gestion des non conformités qui montre leur courbe d'évolution, qu’on voit s'infléchir à mesure que les procédures s’améliorent. Nous commençons à le déployer sur d’autres projets. »
Réseau qualité de CNRS Nucléaire & Particules
A 52 ans, Laurence Caillat en a encore pour de longues années à travailler sur ITK et KM3Net, tout en répondant aux besoins grandissants des autres projets du laboratoire. Préférant le terrain aux salles de réunions, elle s’investit néanmoins depuis 15 ans dans le réseau qualité de CNRS Nucléaire & Particules. Pour échanger avec ses homologues, mais surtout aider les autres laboratoires à mettre en place leur démarche qualité. Elle anime ainsi depuis octobre 2024 la Cellule nationale d’expertise « qualité-projet-système » de CNRS Nucléaire & Particules. Dans le même esprit, depuis 2020, elle s’est investie auprès de la direction technique nationale pour prendre part à l'élaboration d'un vaste référentiel méthodologique et documentaire pour la gouvernance, la qualité et les projets menés à l'institut. Par ces engagements collectifs, Laurence Caillat rend ainsi hommage à ceux qui l’ont soutenue et continuera à « faire sa part », fidèle à la métaphore du colibri qu’elle affectionne. « Notre apport paraît anodin, et je m’en veux parfois d’embêter les scientifiques avec ce qui peut paraître un détail. J’essaie alors de me rappeler à quoi cette petite part va finalement contribuer ! »
Auteur : Emmanuel Monnier (Agence les Chemineurs)