La particule alpha n'est pas un système quantique fermé, mais bien un système ouvert au sein duquel se juxtaposent plusieurs systèmes de canaux de réactions. Image : Witek Nazarewicz

Un changement de point de vue sur le noyau d’hélium 4 sort la physique nucléaire d’une impasse

Résultats scientifiques Physique nucléaire

Une mesure expérimentale a récemment identifié un décalage important entre des prédictions théoriques et l’observation du comportement du noyau d’hélium 4. Le travail d’une collaboration internationale de théoriciens a permis de faire émerger une vision différente sur les configurations des nucléons et leur couplage dans ce noyau. En particulier, une évolution dans la conception de l’état résonant de ce noyau léger, susceptible d’éclairer les scientifiques sur des phénomènes astrophysiques majeurs, a permis de réconcilier théorie et expérimentation.

Mayence, 2021 : une équipe de chercheuses et chercheurs bombarde d’électrons des noyaux d’hélium 4, avec comme objectif d’observer la transition de ce noyau, aussi connu sous le nom de particule alpha, de son état fondamental à son premier état excité (résonant). Cette expérience a entre autres l’objectif de comparer une valeur mesurée liée à cette transition à celle prédite par un modèle phare du noyau atomique, basée sur des théories effectives, les « Chiral Effective Field Theories » (ChEFTs). Coup de tonnerre : la valeur mesurée au Microtron de l’Université de Mayence (MaMi) est de deux fois inférieure aux prédictions théoriques, dans ce qui apparaît alors comme un revers douloureux pour certains modèles du noyau. La chasse est alors lancée : comment concilier cette observation expérimentale et les modèles basés sur une théorie ChEFT ?

Ce casse-tête a été récemment résolu par une collaboration internationale de théoriciens, composée de Nicolas Michel (Académie des Sciences Chinoise), Witek Nazarewicz (Université d’Etat du Michigan) et Marek Płoszajczak, chercheur au GANIL. Marek nous explique : « Employer une ChEFT pour calculer certaines propriétés du noyau atomique requiert dans un premier temps de modéliser le comportement des nucléons à l’intérieur du noyau. On parle de résoudre le ‘problème à N corps’. Pour résoudre ce problème dans l’hélium 4, les théoriciens concevaient jusqu’à récemment la particule alpha comme un système autonome et indépendant à l’intérieur duquel les nucléons s’écartent simplement les uns des autres lorsque le noyau absorbe de l’énergie. Dans cette configuration, que l’on qualifie de système quantique fermé, on peut imaginer le noyau gonflant comme un ballon de baudruche lorsqu’il reçoit de l’énergie ».

L’idée originale des trois chercheurs a consisté en la proposition d’une vision différente du noyau excité : plutôt que de l’envisager comme un système quantique fermé, le trio de chercheurs a préféré appréhender le noyau d’hélium 4 comme un système ouvert au sein duquel se juxtaposent plusieurs systèmes de canaux de réactions (un noyau d’hydrogène 3 assorti d’un proton, un noyau d’hélium 3 assorti d’un neutron, ou bien deux noyaux d’hélium 2). « C’est bien la résolution du problème à N corps dans le cadre de ce paradigme qui a permis de retrouver les résultats expérimentaux obtenus au MaMi », confirme Marek.

Tout est bien qui finit bien ? Cette gymnastique théorique donne indubitablement du crédit aux modèles existants, et pourra également s’appliquer à d’autres noyaux légers pour mieux comprendre le processus de leur excitation. Mais l’épisode met aussi en lumière la difficulté à prendre en compte les détails les plus subtils dans l’étude des noyaux atomiques, et la nécessité d’une telle profondeur d’analyse pour appréhender les phénomènes nucléaires simples. Le jeu en vaut toutefois la chandelle : les transitions entre états fondamentaux et résonants des noyaux légers tout comme la structure microscopique de ces états résonants rentrent en jeu dans des phénomènes astrophysiques tels que la formation des étoiles à neutrons ou la nucléosynthèse stellaire, leur élucidation nous rapproche ainsi d’une compréhension globale de la chimie de l’Univers.

Contact

Marek Płoszajczak
Chercheur au GANIL
Marcella Grasso
Directrice adjointe scientifique "Nucléaire et structure du nucléon"
Thomas Hortala
Chargé de communication